A l'abordage défi N° 66: enlacez vos lacets..

Publié le par Hauteclaire

Cette quinzaine, pour la commuanuté des croqueurs de mots de Pascale  c'est Vert de Grisaille  qui est à la barre et nous a proposé ce défi :

 

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De quoi s'agit-il? Partez d'un objet aussi anodin qu'un lacet, serpentez sur ses boucles et ses (in)sinuations, et laissez-le créer le noeud complexe d'un moment. Car, après tout, ce sont les objets les plus anodins qui nous sont les plus utiles, et qui nous ramènent parfois des souvenirs d'une époque, d'un instant, d'un autre objet chéri, d'un détournement d'utilisation, d'une pensée incongrue...

Amusez-vous, que ce soit en champs lexicaux, consonnances, doubles sens, non-sens, sens cachés ou même assonnances. Proposez vos proses ou posez vos poésies, l'essentiel étant que de lascifs lacets apparaissent et fassent le lien entre mon thème et votre création.

 

 

 

La fille transparente

 

Lisa considérait ses chaussures de marche d’un œil un peu absent et dubitatif. Elles étaient pourtant jolies, avec ces lacets jaune citron, qui se détachaient sur une toile noire, elle aussi rayée de jaune. Dans le magasin, elle avait aimé cet aspect d’abeille et  la semelle épaisse sur coussin d’air lui avait promis de longues marches sans avoir mal aux pieds. De plus, pour une fois il y avait sa taille, chose rare dans les rayons adultes. La jeune femme en avait un peu assez des rayons enfants.
Le dimanche matin était arrivé, le moment de la randonnée hebdomadaire et elle se posait des questions, est-ce que ces chaussures étaient bien ce qu’il lui fallait ? Elle se sentait si fade, que tout à coup, les couleurs de l’abeille lui paraissaient trop voyantes.

Depuis l’enfance, Lisa avait cette sensation de transparence. L’impression de ne retenir l’attention de personne. A l’école déjà, malgré ses efforts pour faire bonne impression elle s’était assez vite aperçue qu’elle ne faisait… aucune impression ! Finalement, elle se contentait de faire son travail du mieux possible, et les professeurs l’oubliaient facilement dès qu’elle changeait de classe. Des amies ? Des mots aimables échangés, quelques invitations par-ci par-là, et puis on passait à autre chose. A d’autres filles plus brillantes, plus vives, et Lisa restait dans son coin à rêver, ce qu’elle savait faire de mieux. Des examens passés malgré tout haut la main, face à des professeurs qui l’avaient à peine vue entre deux éléments turbulents. Un travail intéressant, trouvé assez facilement et une situation sans histoire. En fait, elle aurait dû être contente de son sort, du moins est-ce qu’une collègue lui avait répondu, un jour où Lisa avait dit se sentir un peu seule. Elle n’avait pas insisté, cela n’en valait pas la peine, et d’ailleurs la collègue n’avait même pas l’air de se souvenir de cet instant.
Les hommes ? Ils la voyaient à peine, voire pas du tout, elle s’y était résignée. Du reste presque tout le monde dans son entourage était marié ou en couple, une célibataire de trente ans n’intéressait pas. Si elle voulait participer à une fête, elle devait envoyer des invitations car on ne lui en envoyait guère.

De plus en plus, elle se sentait, comment dire, transparente. Ce n’était même plus un manque d’intérêt latent de son entourage, cela devenait plus flagrant. On lui parlait de moins en moins, les regards glissaient sur elle sans presque la voir. Dans les magasins, les vendeuses, à la caisse, à peine un mot, alors que la cliente suivante avait droit à toute une conversation.

Elle n’était pourtant pas si mal. Peut-être était-ce les yeux trop clairs, les cheveux trop blonds ? Sa taille toute menue ?

D’ailleurs en se regardant dans le miroir, son image devenait un peu floue.

Lisa se sentait assez découragée, tout en se disant qu’elle avait peut-être besoin de lunettes, puis se décida pour enfiler ses chaussures neuves. Cette promenade était une vraie bouffée d’oxygène, elle en avait besoin et remonterait sûrement un moral en berne.
Ses pas la portèrent vers un petit bois qui était sa destination régulière depuis quelques temps. Des chemins étroits sous la couronne feuillue des arbres, un air délicieux à respirer, malgré la proximité de la ville, une nature exubérante qui éclatait sous le soleil. Quelquefois la chance de croiser un oiseau, un chevreuil, un lapin. Ils la regardaient avec curiosité, avant de se cacher. Ca la faisait rire, surtout quand elle se rendait compte qu’ils la guettaient de sous une feuille. Au moins eux la voyaient !

La semaine passée Lisa avait même découvert un tout petit étang, un havre de tranquillité dans une eau très pure, bordé de hautes herbes, et animé par les ailes des libellules. Il lui fallait absolument y retourner !
Ce ne fut d’ailleurs pas si facile, et elle dû faire de nombreux tours et détours pour le retrouver, ce qui lui permit de vérifier le bien-fondé de son achat, les chaussures « abeilles » avec les beaux lacets jaunes étaient vraiment parfaites. Elle allait les mettre souvent !
Enfin, le petit étang était là, devant elle. Une eau comme un miroir, cristalline, brillante comme de l’argent sous le ciel bleu. Les libellules continuaient de voler dans la lumière, dispersant de la poussière d’or sur les herbes de la berge. Un petit bruissement montait des fleurs jaunes et rouges, suggérant la présence de minuscules insectes chanteurs. C’était amusant, par moment, on aurait dit de petits rires. Lisa s’approcha de l’eau et se pencha. Y avait-il de petits poissons, des têtards ? La surface liquide lui renvoya son image, comme un miroir, avec le ciel bleu en fond. Ce n’était pas comme chez elle, son visage était net, très net, souriant. La jeune femme leva les yeux, encore ce petit rire ? Quel oiseau pouvait le faire ? L’étang était finalement plus grand qu’elle n’avait pensé au début, il était même très grand, un vrai lac. Et ces arbres, là-bas. Quelle hauteur ! Les rais de soleil dessinaient des traits de lumière dorée. C’était magnifique !
Elle revint à son reflet. Cette lumière… elle était si nette, si brillante même, elle se fit un sourire. Mais qu’est-ce qui était derrière elle ? Ce ne pouvait être qu’une vision, c’est fou ce qu’un moment au soleil pouvait faire en matière d’hallucination. Non, elle ne pouvait pas avoir des ailes !

Des ailes transparentes, d'un bleu-vert aérien.

D’autres rires vinrent en écho au sien, puis des petits visages se montrèrent autour d’elle, autour de son reflet, souriants, amicaux, lui souhaitant la bienvenue. Lisa était enfin visible, on ne voyait qu’elle près de l’étang.
Comment aurait-elle pu savoir qu’il y avait eu une erreur de monde à sa naissance ? Le petit peuple l’accueillait et la fêtait.

 

- Tu as vu ces chaussures, près de la berge de la mare ? Quelqu’un est parti se promener pieds nus ? Et les lacets même pas défaits !
- Une drôle d’idée avec toutes ces ronces! On a dû les oublier. Dommage ! Elles sont jolies.

Les promeneurs en se retournant trente secondes plus tard se demandèrent comment les chaussures avaient pu disparaître si vite.
Tout n'était que silence, seul un bruit de frôlement d'ailes...

Publié dans les contes

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T
<br /> <br /> bzzzzz  je me régale de chaussures à rayures , des petites bêtes souriantes un monde de soleil qui m'émoustille.... merci Hauteclaire ça chante l'été sur coussin d'air... j'en veux une paire<br /> !!! mille  bzzzbizzzzoux <br /> <br /> <br /> <br />
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F
<br /> <br /> une jolie histoire<br /> <br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br /> Un conte comme tu sais si bien les écrire entre rêve et réalité, une lecture bien agréable juste avant d'aller dormir. Bonne nuit ! Gros bisous<br /> <br /> <br /> <br />
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V
<br /> <br /> Superbe... Dès le début, on s'imprègne du personnage. La fin m'attriste presque, toutefois. S'est-elle noyée, croyant s'envoler au pays des rêves? Pourvu que non...<br /> <br /> <br /> <br />
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H
<br /> <br /> Merci Vert de grisaille,<br /> <br /> <br /> je suis heureuse que tu aies aimé ce conte !<br /> <br /> <br /> Non, non, c'est à prendre au pied de la lettre, elle est passée dans le monde du petit peuple, une fée  égarée dans un monde qui n'était pas le sien (mais sans oublier ses jolies chaussures<br /> )<br /> <br /> <br /> Je suis très conte "entre deux réalités"<br /> <br /> <br /> Bisous<br /> <br /> <br /> <br />
F
<br /> Etrange histoire qui se termine avec le mystère des chaussures abandonnées par cette fille devenue fée aérienne ... Bravo pour ce défi bien relevé!<br /> <br /> <br />
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