Le récit du vieux coffre
Laissez-moi vous raconter, vous qui êtes assis près de moi, un autre de mes souvenirs.. Il faut que je remonte dans ce lointain passé …Parfois les images sont si proches, parfois j’ai un peu de mal, il y en a tant..
Je n’ai pas toujours été en mer, il y eu des époques où je passais rapidement de main en main. On me vendait, on me revendait, on me donnait comme un cadeau, ou comme un vulgaire objet utile.
C’est ainsi que je me suis retrouvé dans ce que vous appelez un désert, transportant en mon sein des étoffes précieuses. De la soie la plus rare, qui caressait mes flancs comme l’auraient fait des pétales de fleurs à peine cueillies. J’étais accroché au flanc d’un de ces animaux, que vous nommez vaisseaux, et me balançais à son pas lent, comme dans la houle, envahi de la nostalgie de la mer, que rien ne peut remplacer pour moi.
La nature de cet endroit était dure pour les hommes, comme pour les animaux, et pour les objets. Le ciel était d’or, avec un astre en fusion. Rouge le soleil, rouge le sable, dans cet air qui vibrait. Une chaleur comme je n’en avais jamais connu sur une route maritime.
Toutes mes planches craquaient, se plaignaient, car le bois aussi se plaint et parle. Il pourrait vous en conter des histoires, le bois dont je suis fait, des histoires qui remontent aux âges anciens des hommes, et même avant, sur une terre de mythes. De cela je vous parlerai un jour …Nous marchions, pas après pas, avançant vers où ? Je ne savais pas, les hommes qui dirigeaient cette caravane ne disaient mot entre eux. Vêtus de bleu sombre, leurs visages étaient masqués, et leurs yeux ne révélaient rien.
Nous marchions … et une nuit je ne reconnus plus les constellations qui éclairaient le ciel nocturne, pur comme de la glace.
Puis elle apparut, une cité fortifiée, au milieu des sables, élevant des tours minces comme des aiguilles, aux murs recouverts d’or et d’argent, le métal brillait d’un éclat insoutenable sous le soleil ardent. Les portes s’ouvrirent, gardées par des soldats en armes, et à l’intérieur la foule déambulait, étrangement silencieuse, un demi sourire errait sur les lèvres, pareil à celui des statues de marbre qui s’élevaient de place en place. Où étions-nous ?
J’ai été déchargé du flanc du chameau, et emmené dans ce qui était un palais d’une richesse incroyable. De l’or à nouveau, partout, du marbre du blanc le plus pur, ou veiné de fines stries bleues et roses. Des statues encore, mais bientôt je remarquais que presque toutes semblaient représenter la même femme.
Une déesse ?
On me laissa dans ce qui devait être une chambre dans un vaste appartement. Les hautes fenêtres s’ouvraient sur le ciel turquoise, ornées de rideaux d’une mousseline diaphane. Un large lit entouré de colonnes sculptées, débordait de fourrures et de taffetas. Tant de richesses me donnaient le vertige !
Puis une servante vint m’ouvrir, et la soie sortit de moi, apportant de nouvelles taches de couleurs dans cet univers fastueux, et moi je me sentis bien terne, avec mon bois sombre, mais la servante passa une main affectueuse sur mes ferrures.
Puis la reine entra.
Je sus immédiatement que cette femme était la reine de cette cité, son visage était celui des statues. Hiératique, mystérieuse, elle parlait peu, et tous pliaient devant un regard changeant comme les opales et tranchant comme les saphirs. Ses cheveux étaient d’or, comme le soleil, la seule parmi ses sujets à la peau de cuivre, couronnée d’ébène. Elle me fit la grâce de me garder près d’elle, et je coulais des jours tranquilles.
Mais un jour vint un homme, un européen, un navigateur, de cela je suis sûr. On l’avait trouvé dans le désert, perdu dans les sables, presque mort.
La reine posa les yeux sur lui, pour ce qui faillit être son malheur, car elle savait aussi être cruelle.
Il sentit venir le danger, et un soir qu’elle était sortie, il me prit, jeta quelques provisions entre mes planches, et s’enfuit sur un seul chameau.
Longtemps nous avons erré dans les dunes, mais je sus que nous étions sauvés quand enfin je reconnus les étoiles de la nuit.
Où était cette cité ? Je ne l’ai jamais su, et je crois que nul ne le sait plus. Près de moi, revenu à bord d’un galion, les hommes en parlaient à voix basse, comme d’une légende, et en parlent encore. Le nom qu’ils lui donnent ?
Allons, vous le savez bien !