A l'abordage défi 83: l'orage
ACette quinzaine, pour les croqueurs de mots la communauté de Pascale c'est M'Annette qui est à la barre de la coquille, et qui nous a donné la feuille de route suivante :
Alors de quoi allons-nous parler?
Et bien voilà:
Dans un grand moment de "ras-la-casquette", vous voilà parti(e)
seul(e) en vacances, en Corse.
Au volant de votre petite voiture, après vous être attardé(e) un peu sur le port de Bonifacio,
vous regagnez votre hôtel à Ajaccio, zigzaguant dans la montagne.
Le ciel s'assombrit, la nuit tombe,
mais il y a aussi l'orage qui gronde,
et soudain!............. panne de voiture!
Seul(e) au milieu de nulle part, sous la pluie désormais,
vous vous demandez
ce qui vous a pris de partir ainsi tout(e) seul(e) et....
....et la suite est sous votre plume! ...
M'Annette j'espère que tu ne m'en voudras pas ... c'est tout à fait autre chose qui est venu !! J'ai honte !!!
L’orage
Une semaine avant.
Courir, courir, vite. Le plus vite possible, aussi loin que possible. Fuir, fuir la maison et ce qui vient de se passer, ce que j’ai vu. Mais je sens un souffle derrière moi, un souffle qui se rapproche, qui se rapproche vite, très vite.
Courir, courir, vite…
Maintenant.
Il pleut des cordes, et les éclairs sillonnent le ciel. Ils illuminent ce coin de maquis corse, ou plutôt ce coin de fossé où je suis. Mais quelle idée est ce que j’ai eu de vouloir rentrer ce soir ? Retrouver mon salon bien tranquille et ma femme après cette affaire pénible ? Noyer le sentiment d’échec que je ressens ? Essayer de mettre mes idées au clair ? Un peu de tout cela sans doute. Essayer d’oublier le doute, de cesser de me demander si ce que je crois avoir vu est la réalité, ou bien le résultat de la fatigue accumulée en trois jours d’enquête presque sans dormir ?
A un moment ou l’autre il va bien falloir que je me pose cette question, mais je crois que je peux d’ors et déjà m’avouer vaincu. En fait je crois que je sais, depuis ce moment, dans le couloir du commissariat.
J’ai bouclé les premières constatations, rédigé un rapport. Puis écœuré de moi-même, de mon incapacité à prouver quoi que ce soit, j’ai voulu prendre la route pour rentrer. Des chemins escarpés, l’orage qui éclate alors que je suis au beau milieu de nulle part. Les pneus qui dérapent, le volant qui m’échappe, et me voici dans le fossé. Pas de mal, la voiture est tombée sur des fourrés. Pas question non plus de sortir sous ces trombes d’eau, de toute façon, je suis coincé là pour la nuit, autant rester au sec et tenter de dormir. Le portable ne me sera d’aucun secours, il est bien sûr déchargé, mais en revanche, j’ai de quoi boire et un sandwich. La situation n’est pas très grave, demain il fera jour. Alors après avoir avalé mon sandwich, faire un somme malgré la cacophonie des éléments. Je vais essayer de me détendre, mais dormir ?
Je crois que je vais avoir du mal.
Avant.
‒ Tu as vu, ils ont appelé Andrieux pour cette affaire, ils le font venir tout exprès de la ville.
‒ Il est si fort que cela ?
‒ Le meilleur parait-il pour des affaires de ce genre, de celle qui ont l’air d’un sac de nœuds. Et pour un sac de nœuds, c’en est un beau ! Pas une histoire de vol, pas un crime crapuleux, tout est resté bien sagement en place. Pas une histoire politique non plus, le couple était discret et n’avait rien à voir avec les gens « en vue ».
‒ Un cinglé quelconque qui traîne dans le maquis si tu veux mon avis. Il n’y a que ça pour expliquer la mise en scène. Le mari bien installé sur le canapé, comme pour regarder la télé.
‒ Oui, sauf la balle dans la tête qui va le gêner un peu pour voir le feuilleton policier du soir, puisque la domestique dit que c’était son programme préféré.
‒ Pour ce qu’elle en sait ! Si tu veux mon avis, ce n’est pas une lumière celle-là.
‒ Je suis bien d’accord avec toi, mais c’est le seul témoin que nous ayons. Ces gens étaient là depuis une semaine seulement et ne sortaient pratiquement pas. Personne ne les connaissait vraiment, mais elle, elle venait tous les jours.
‒ Ca ne suffit pas pour avoir une idée, et elle n’a pas l’air d’en avoir beaucoup !
‒ On va voir comment Andrieux s’y prend. Et puis la femme finira bien par reprendre conscience. Le toubib dit que c’est juste le choc. Qu’elle doit dormir un moment, et qu’elle retrouvera la mémoire.
‒ Il faut reconnaitre qu’une nuit dans le maquis, avec un assassin aux trousses, ce n’est pas folichon.
‒ Finalement elle a eu de la chance de tomber dans cette ravine, il la poursuivait certainement, les buissons étaient piétinés sur une bonne distance. Il faisait nuit, la pluie, il ne l’a pas retrouvée et a dû partir.
‒ Oui, ça doit être ça. Allez, on y va. On a regardé la maison sous toutes ses coutures, on en tirera rien de plus. La domestique est au poste, elle attend pour être interrogée.
Maintenant
On m’a appelé parce que personne n’y comprenait rien. Et puis aussi parce que j’ai la réputation de savoir m’y prendre dans les crimes où les mobiles sont obscurs, où les assassins obéissent à des motifs connus d’eux seuls et mettent en scène. C’est exactement ce à quoi ça ressemblait, une mise en scène.
Le mari était resté dans le canapé, devant la télé allumée, avec un verre de whisky près de lui, et des petits biscuits. Parfait pour regarder le film du soir. Il y avait un coussin derrière la tête, avec un peu de sang. Pas beaucoup la blessure était petite. Une arme de faible calibre, il avait fallu être très près pour tirer et le tuer net. Mais au lieu de se sauver une fois son geste accompli, le meurtrier l’a tiré sur le sol pour le mettre dans ce canapé. C’est sûr, il a été tué dans l’entrée, nous avons retrouvé de petites taches de sang. « On » s’est donné beaucoup de mal pour cette mise en scène ! Pourtant je pense, je suis presque sûr que cette mise en scène est beaucoup belle pour être vraie. Tout le monde murmure crime de détraqué, mais viscéralement je sens que j’ai affaire à quelqu’un de froid, d’organisé, qui avait prévu, planifié, et dont le motif est tout sauf banal. Le canapé, la télé, tout cela est de la poudre aux yeux, pour nous faire rechercher un malade, et il ne l’est pas.
Il fallait chercher beaucoup plus loin.
Cinq jours avant.
‒ Chef, il faut que vous voyiez ça ! Ce paisible couple ne l’était peut-être pas tant que cela ! Du moins la victime, le mari.
‒ Qu’est-ce que vous avez trouvé ?
‒ Ben justement on ne trouve rien.
‒ C’est-à-dire ?
‒ Ce type n’a pas de passé avant ces cinq dernières années. Impossible pour le moment de savoir d’où il sort ! La femme s’est différent, il l’a épousée l’année dernière. Elle était veuve, et sa vie est très rangée. Milieu grand bourgeois, de l’argent, des maisons …
‒ Dont celle-ci.
‒ Exactement. Ce pourrait être un prétendant éconduit. Qu’est-ce que vous en pensez chef ?
‒ Hmmm, je ne crois pas. Tout est trop parfait, trop méticuleux. On nous a fait une vitrine si vous voulez mon avis. Mais pourquoi ? Il faut que vous trouviez quelque chose sur le passé de cet homme, la victime. C’est par là qu’il faut commencer.
‒ Chef, la femme de ménage est arrivée. On l’a fait asseoir dans la salle d’interrogatoire, elle attend.
‒ Vous n’en avez rien tiré hier ?
‒ Elle était assez secouée après avoir trouvé le corps. Elle ne pouvait rien dire de très précis sur ces gens, on l’a laissé repartir. Elle travaille dans plusieurs familles, et vit seule au village, une petite maison qu’elle loue. Sans histoire, elle vient de Bastia, rien à dire sur elle.
‒ Allons-y. Elle a sûrement vu quelque chose à un moment, il faudra bien qu’elle se force à se souvenir !
Maintenant.
Je n’avais vraiment pas grand-chose à me mettre sous la dent, et j’étais agacé. Je n’avais que la domestique comme témoin, et j’étais bien décidé à ce qu’elle me donne un renseignement, même le plus infime. J’ai jeté un coup d’œil dans la salle, par la vitre. Une femme d’un âge incertain, avachie sur sa chaise, les yeux dans le vide. Des cheveux blond filasse qui encadraient un visage mou, une bouche tombante. La silhouette était assez trapue, enveloppée de vêtements gris et ternes. Je crois qu’elle portait une sorte de jogging, pratique pour les tâches ménagères qui étaient les siennes.
‒ Bonjour madame !
J’ai serré une main tout aussi molle que l’expression, et là, en m’asseyant devant elle, je me suis dit que je n’en tirerai rien et je ne me trompais pas.
Elle répondait à mes questions de façon assez précise. L’arrivée du couple, son travail. Les relations qu’ils avaient entre eux.
‒ Comment se comportaient-ils quand ils étaient ensemble ?
‒ Monsieur était très gentil avec madame. Ils parlaient sans se disputer.
‒ Jamais ?
‒ Non jamais.
Et tout comme cela. Elle faisait le ménage, elle préparait les repas, et puis elle rentrait chez elle, point à la ligne. Personne n’avait été invité, personne n’était entré en sa présence, rien.
De guerre lasse j’avais mis un terme à l’entretien. Elle est repartie en traînant les pieds, le regard toujours aussi vide, vers les maisons qui attendaient ses soins, et moi, il fallait que je trouve une information à donner au préfet !
Et je n’avais rien…
Cinq jours avant.
‒ Chef ! chef ! On vient d’avoir une info de l’identité. On dirait bien que la victime était impliquée dans une histoire de braquage il y a huit ans. Des empreintes à l’époque qui n’avaient été reliée à personne !
‒ L’argent n’a jamais été retrouvé, ni le complice.
‒ Vous croyez que ça a un rapport ? Il avait gardé l’argent pour lui peut-être ?
‒ Il faut creuser dans ce sens, tachez de me retrouver les dossiers de l’époque. Il était le seul à pouvoir identifier le complice, c’est peut-être pour cela qu’on l’a fait taire. Si ça se trouve le gars en question se balade en ville ! Et plutôt que de prendre le moindre risque. Il est visible qu’il ne s’est pas défendu, alors …
Maintenant.
J’étais pressé de me remettre au travail, d’avancer, après cet interrogatoire pesant et sans résultat. Je lisais le rapport que mon adjoint m’avait donné, sans plus faire attention à rien, dans le couloir. J’étais absorbé dans mon raisonnement, aussi je n’ai senti la présence derrière moi qu’en entendant le bruit de pas. La domestique partait, le dos un peu voûté, les pieds dans des sandales informes, c’est pour cela que ce bruit de chuintement avait atteint mes oreilles, des chaussures trop grandes.
Je lui avais déjà dit au revoir, aussi je ne me suis pas retourné pour lui parler. Le rapport était autrement plus intéressant ! J’ai juste jeté un coup d’œil dans le miroir sale et dépoli qui orne le mur à cet endroit, si orner est vraiment le terme en la circonstance.
Le visage que j’ai entraperçu n’avait plus rien de mou, le regard clair brillait de rage et d’intelligence. J’ai eu un choc et je me suis retourné d’un seul bloc. Elle est passée devant moi avec un vague signe de tête, la prunelle éteinte et la bouche tombante.
Je suis resté un bon moment devant le miroir, à me persuader que la crasse qui le recouvre m’avait trompé.
Je crois que je suis content de rentrer. Je ne peux oublier cette sensation de froid qui a couru dans mon dos à ce moment précis.