A l'abordage défi N° 61: la malle cabine

Publié le par Hauteclaire

Bonjour vaillants matelots de la coquille des croqueurs de mots la communauté de Pascale, et à tous ceux qui viennent pour embarquer.

A la barre cette quinzaine Lénaïg qui nous a demandé de parler des bagages, de leur préparation et de toutes les surprises que l'on peut avoir ... en texte, dessin, photos ..;

 

 

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La malle cabine

 

Je suis stewart à bord d’un paquebot de croisière de grand luxe. Alors les malles je connais!
Les miennes en tout premier évidement. Entre chaque traversée, quand je peux revenir chez moi pour quelques jours de repos, le rituel de départ est toujours le même. Dans le fond mes affaires de toilette, puis les vêtements de rechange, et les uniformes. Avec le temps, je suis devenu un expert dans l’art du pliage. Expertise nécessaire si on ne veut pas perdre un temps précieux en repassage et défroissage. Et enfin, les chaussures. Deux ou trois paires, le même modèle noir, confortable et d’une élégance discrète. Surtout ne rien oublier et parfois rêver de cet extrait de dessin animé où Merlin l’enchanteur emmène toute sa maison dans son seul sac.
Mais avec l’âge et l’expérience, de moins en moins de superflu ou alors au retour, quand il faut ramener des cadeaux pour la famille.
Mes bagages, mais aussi ceux des passagers. Je peux même dire que des valises, j’en ai vues de toute sorte. Je navigue sur ce paquebot depuis un certain temps déjà et j’ai pris l’habitude des grandes marques, du cuir le plus travaillé, des sacs faits sur mesure, avec des monogrammes, qui sentent bons la richesse et les grands voyages. Ils sont souvent chargés, je me demande régulièrement si leurs propriétaires sont des adeptes des haltères, ou bien s’ils transportent quelque objet insolite, comme pourquoi pas... des briques !
Petit jeu de divination sans grande malice, mais qui permet de transporter les objets en question avec un sourire dans les couloirs aux moquettes épaisses qui étouffent les bruits.
Une carrière de déjà quelques années, et des bagages pour tous les goûts, mais une malle comme celle que je transportais ce jour-là, jamais.
Elle devait être assez ancienne, la marque de la maison créatrice avait disparu dans le temps et la patine. Elle était faite d’un cuir très épais, qui avait conservé une belle couleur rouge sombre. Bien entretenue, aucune tâche ou moisissure ne déparait son aspect et les ferrures dorées brillaient doucement sous la lumière des lampes de la coursive. Elle était très volumineuse, très haute, je me disais que j’aurais pu m’y tenir en me baissant. Et bien sûr lourde en conséquence! J’avais pris un des chariots pour l’emmener, et la hisser dessus avait été toute une histoire. Il avait fallu qu’un de mes collègues m’aide.
Après, cela avait été tout seul, la malle avait même l’air d’être plus légère à chaque pas.
J’avais été prévenu que son propriétaire n’était pas encore à bord du paquebot. Nous partions de France pour aller à New York, en passant par l’Angleterre. Il devait arriver dans ce port anglais, donc la malle devait être déposée, et la cabine soigneusement fermée. Je ne devais même pas ouvrir et ranger les vêtements, comme c’est souvent le cas.
Chemin faisant, je regardais les étiquettes qui la décoraient. Elles montraient aussi son âge, on ne colle plus cela dans les palaces de nos jours.
Il y en avait de tous les continents, avec des noms à faire rêver, souvent un paysage en réduction, un monument. Même pour moi, pourtant habitué, cette sorte de catalogue était un appel au voyage  tout en suscitant une certaine mélancolie : jamais je n’arriverais à en faire autant !
Tout en déroulant ces pensées, j’arrivais devant la porte de la cabine, faisant pivoter laborieusement “ma” malle, comme je l’appelais déjà, manœuvre qui fit rire une de mes collègues qui passait par là avec un plateau bien chargé dans les mains.
‒ Viens m’aider au lieu de rire !
‒ Tu t’en sors très bien tout seul !
En maugréant, je poussais mon chariot dans la chambre, et fermais la porte derrière moi. La cabine-suite était un havre de calme après le brouhaha des préparatifs au départ. Le salon bien ordonné, dans les tons bleus, canapé, table basse, bar au grand complet. Derrière la seconde porte, je le savais, une chambre à coucher avec un grand lit à la courtepointe moelleuse, un bureau, une télévision écran plat au mur. Tout le savoir-faire des artisans pour que le passager se sente immédiatement chez lui, ou beaucoup mieux que chez lui.
Je décidais d’installer la malle dans la chambre, ce serait mieux si le client voulait inviter des amis dans son salon. Je la déposais doucement adossée au mur et une fois le chariot dégagé, je prenais quelques minutes pour mieux la regarder.
Un très bel objet, et les étiquettes … dans la lumière assourdie de la chambre, elles semblaient prendre un relief tout particulier, comme de vraies photos en trois dimensions. Je me plongeais dans leur contemplation pendant un bon moment, et sursautais en entendant sonner la corne du bateau qui s’apprêtait à appareiller.
Je suis sorti presque en courant, me rendant compte que j’avais un sacré retard dans le service. Heureusement, dans l’effervescence je suis passé inaperçu ! La routine m’a absorbé, d’autres valises, expliquer aux passagers comment se servir des gilets de sauvetage ou de la climatisation. Apporter des plateaux, les reprendre. Les heures passent très vite ainsi, et la fin de soirée est arrivée en un clin d’œil. Mon service terminé, une fois dans ma petite cabine, je me suis aperçu que la malle n’avait pas quitté un coin de mon esprit et revenait en force maintenant que je n’avais plus d’occupation urgente.
Après tout, rien ne m’empêchait d’aller voir à nouveau les étiquettes! Simplement vérifier que tout allait bien dans la chambre inoccupée, voilà l’excuse que je m’inventais tout en avançant dans le couloir silencieux. Les passagers dormaient, ou étaient dans un des salons pour les spectacles, je ne croisais personne.
J’entrais dans la cabine avec mon passe et me dirigeais vers la chambre. Tout était comme je l’avais laissé, calme, bien rangé, dans l’attente. J’avais allumé dans le salon, en grand, aussi en ouvrant la porte de la chambre, je n’avais pas besoin de lumière. La malle était  bien là, contre le mur. Pourtant quelque chose avait changé. Un des légers mouvements du paquebot ? Elle s’était entrebâillée.
Je m’approchais à grands pas pour y remédier et mes yeux s’habituant à la pénombre je vis à ma grande surprise qu’une lumière s’en échappait. Une ampoule à l’intérieur ? Ce n’était pas impossible. Dans le monde du grand luxe, on peut tout imaginer. Elle s’éteindrait en repoussant la partie mobile.
J’allais refermer la malle mais mon geste s’est arrêté. Les étiquettes brillaient de tous leurs feux, offrant leurs destinations. La lumière qui s’échappait de la malle était si douce, si dorée, si belle, et gagnait en intensité. Et le parfum … un parfum indéfinissable, de sable, d’air chaud et d’épices exotiques mêlé au cuir. C’était enivrant !
Je n’arrivais pas à bouger, tout en me disant que ce n’était qu’un mirage, probablement dû à ma fatigue du soir et mon imagination.
La lumière s’est faite plus palpable, les étiquettes ont semblé grandir, et la malle s’est ouverte un peu plus.
Que faire …
Je suis entré.

 

 

Publié dans les contes

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J
<br /> <br /> Un récit prenant qui transporte dans ce monde du luxe comme si nous y étions ... mais un geste qui va avoir des conséquences ... Y aura-t-il une suite ?<br /> <br /> <br /> <br />
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S
<br /> <br /> Bonjour Hauteclaire,<br /> <br /> <br /> Depuis hier, je tente de t'envoyer mon message que voici: J'ai lu ton texte comme un roman et suis restée sur mon exaltation comme frustrée de ne pas poursuivre avec ton personnage son entrée. Tu<br /> as vraiment l'art de décrire son environnement, son comportement, son expérience, de doser ta plume accomplie. A bientôt. Suzâme<br /> <br /> <br /> <br />
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T
<br /> <br /> Coucou Hauteclaire, parvenir à faire rêver le spécialiste du voyage de rêve tu as fait un tour Opérator !! , j'ai suivi<br /> pas à pas ce voyage ... je n'en suis pas encore revenue !! tu nous diras ce qu'il y a dans la malle ??? merci pour ce beau moment presque Orient Express !! bizzzoux !!<br /> <br /> <br /> <br />
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C
<br /> <br /> Une histoire comme des poupées russes. Une bien jolie invitation au voyage.<br /> <br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br /> Je suis rentrée dans la malle et le voyage fut inoubliable, je recommencerai...<br /> <br /> <br /> Bisous du soir<br /> <br /> <br /> <br />
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