A l'abordage défi N° 77: le concert sur la plage
Cette quinzaine, Nounedeb barre la coquille des croqueurs de mots la communauté de Pascale et nous a demande de penser à l'histoire que racontent ses photos ...
Comment ?
Cette soirée je la revois comme si c’était hier…
Le visage un peu tendu de ma mère, derrière le sourire. L’air sévère de mon père, pour cacher l’inquiétude, et moi écoutant les recommandations le visage sage, mais bouillonnant à l’intérieur. Mon premier concert de « rock » comme nous disions à cette lointaine époque. J’avais seize ans tout pile, et j’allais sortir sans mes parents pour assister à l’évènement. Un grand concert, avec des vedettes internationales, donné près de la plage voisine. Une aubaine pour la petite ville tranquille, avec une affluence de touristes, des commerces débordants de souvenirs, et une toute jeune fille piaffant d’impatience.
Je devais m’y rendre avec un petit groupe d’amis, filles et garçons, dûment vérifiés par mes parents. Les autres familles en avaient d’ailleurs fait autant, les coups de fils avaient été nombreux avant que nous obtenions les sésames tant désirés. Finalement le grand soir était arrivé, j’étais habillée, fin prête. Pas trop décolleté, avec un t-shirt et un jean. Il n’était pas question que je sorte avec une tenue trop « sexy » pour mon âge ! Quand j’y repense, le sourire me monte aux lèvres… Trente ans, un autre monde celui des années quatre-vingt. Malgré tout je me sentais jolie, et le soupçon de maquillage autorisé aidait beaucoup, comme la lueur de fierté dans les yeux de mes parents, qui voyaient peut-être déjà la femme que j’allais devenir.
‒ Et tu as bien compris, tu rentres directement après le concert ! Avec Julien et Annie, vous ne vous quittez pas !
La voix de mon père m’avait tirée d’un instant de rêverie. Le ton était tout aussi strict que l’expression, mais je le sentais vraiment nerveux, et je savais que tous deux m’attendraient sans aller se coucher.
J’ai promis tout ce que l’on voulait, et je suis sortie en trombe retrouver mes camarades, Julien et Annie, ceux-là même qui reviendraient avec moi.
Annie, une grande blonde un peu dégingandée à l’époque, une « forte en thème » et une forte tête avec cela. Elle avait le même âge que moi, mais me traitait comme sa petite sœur. Elle m’énervait souvent, mais je l’aimais quand même beaucoup, et puis elle rassurait la famille. Pourtant, chez elle, ses propres parents n’avaient pas souvent le dernier mot ! Allez comprendre.
Julien, comme tous les ados de cette âge avait l’air d’avoir trois ans de moins que nous, et gardait la mine renfrognée de son jeune âge masculin. Il était plutôt agacé de devoir « trainer » deux filles avec lui, quand une bande copains à mobylette l’attendait. Peu nous importait, bras dessus, bras dessous, nous avons ouvert la marche en jacassant et en riant, le garçon quatre pas derrière nous.
Un peu plus loin, un autre groupe nous a rejoints, nous étions tous dans le même lycée, et notre joyeuse bande s’est mise dans le flux pour aller vers la plage.
Il y avait beaucoup de touristes, de jeunes, d’étrangers. La foule était bigarrée, riante et bruyante dans les lueurs du soleil couchant. Nous avions de la chance, il faisait beau, avec un léger vent de mer. La soirée serait belle, pas trop chaude pour ce mois de juillet.
Et puis il y avait Eric. Je soupirais après lui depuis des mois, faisant tout pour que la « vedette » du lycée me remarque. Dix-sept ans et demi, il faisait terriblement « adulte » pour la jeunette que j’étais. Grand, blond, l’air un peu voyou, il était irrésistible, et les filles se seraient battues pour lui !
Du concert je me rappelle peu de choses. Un tonnerre sonore, des cris, des rires, des personnages minuscules sur une scène trop éloignée. Moi sautant sur place en rythme. Puis le goût délicieux de l’interdit, quand je me suis éloignée sur la plage plongée dans la pénombre, avec Eric, pour un premier baiser. J’étais un peu déçue, ce n’était pas aussi extraordinaire que je l’avais pensé, et je suis retournée bien vite dans le cercle rassurant de mes deux « chaperons », qui m’ont accueillie avec un sourire entendu.
Ce n’est qu’une fois rentrée, à l’heure dite que j’ai vu la catastrophe. Mon pendentif, une très jolie croix, donnée par ma grand-mère. J’adorais ma grand-mère, et cette croix, elle me l’avait donnée en me disant :
‒ Elle est très ancienne, tu la donneras à ta fille aînée, quand tu en auras une.
J’étais bien loin des enfants, mais j’avais pris la croix avec beaucoup de sérieux, en promettant.
Elle avait dû tomber pendant que j’étais avec Eric, la culpabilité s’ajoutant à la tristesse de la perte.
Le lendemain matin j’étais dehors à première heure, sur la plage dans l’espoir insensé de la retrouver. La jolie plage était une sorte de chaos, les techniciens finissaient de démonter la scène. Partout il y avait des débris de la veille. Je me souviens qu’une chaussure bleue en plastique, une « méduse » avait attiré mon attention.
Des empreintes de pas, dans tous les sens, qui marquaient le sable. Des restes de cartouches du feu d’artifice qui avait conclu la soirée, mêlées aux plumes des mouettes, mais de ma croix, aucune trace.
J’étais rentrée l’oreille basse. Heureusement, personne ne m’en a tenu rigueur, pas même ma grand-mère :
‒ Ce sont des choses qui arrivent, je te donnerai un autre objet pour ta fille.
La vie a suivi son cours, j’ai épousé Julien, et hier soir, c’était le premier concert de ma fille, sur la plage. Je me suis aperçue que j’avais les mêmes mots que ma mère pour les recommandations, et mon mari le même visage aux sourcils froncés que mon père. Je doute toutefois que cette jeune personne nous prenne autant au sérieux que nous le faisions !
Enfin, elle est rentrée à peu près à l’heure, avec ses amis, et d’une humeur très gaie, qui nous a fait plaisir, après le soupir de soulagement.
Et ce matin, avant le lever du soleil, je ne sais pas … une sorte de pèlerinage, je suis allée me promener sur la plage. Les « roadies » démontaient la scène, et le même champ de bataille jonchait le sable, jusqu’à la sandale bleue qui trainait là !
Avais-je jamais été aussi jeune ? Le soleil se levait, éblouissant, et j’ai cligné des yeux. Un peu plus loin, un petit couple s’embrassait, dans la pénombre finissante. Il me semble que nous étions là avec Eric, cette fameuse nuit, près des rochers qui marquent la fin de la plage, et qui servent de refuge aux coquillages.
Le bruit d’une chute d’objets lourds, suivi d’un chapelet de jurons m’a fait tourner la tête vers la scène. Après cela, les amoureux avaient totalement disparu, pourtant tout est plat et dégagé alentours, c’était très bizarre.
Il faisait si bon, j’ai marché jusqu’aux rochers, là où ils se tenaient, en cherchant des yeux une jolie conque pour ma collection.
Elle était là, dans une fissure, l’éclat doré à tout de suite attiré mes yeux. Ma croix, un peu ternie par le sable, intacte, telle que dans mon souvenir. C’était incroyable, ma main tremblait quand je l’ai retirée de sa cachette, et les larmes ont jailli, avant le rire…
Ma fille l’aura finalement, avec une belle histoire en prime.
Pourtant, je crois que quelque chose restera mon secret. Ces deux jeunes, dans ce coin d’obscurité, nous ressemblaient comme deux gouttes d’eau.
Comment ? Je ne sais pas…