Adamante et le chant du quetzal
Le chant du quetzal
Chante, l’oiseau, chante …
Ce dimanche soir, j’ai rejoint une petite salle de spectacle parisienne, pour y retrouver Anne. Elle m’avait prévenu qu’un conte devait y être dit, et je voulais l’entendre.
Un petit hall d’accueil, ou des personnes patientent déjà, tranquillement, en bavardant à mi-voix. Les murs sont recouverts de photos et d’affiches, qui annoncent les spectacles et les cours donnés en ces lieux. Une vitrine aussi, avec des livres, des statuettes, des objets dédiés aux arts d’Asie et d’Inde. L’odeur de l’encens flotte discrètement.
Sur une table, des petits biscuits au chocolat, tout simples, sont offerts sur une assiette, bienvenus après une après-midi de marche. Le temps d’en croquer un (ou peut-être deux) la porte est ouverte pour nous diriger vers la salle.
Un escalier de ciment, une dizaine de marches, pour arriver dans un espace à la lumière tamisée. La scène est là, à peine surélevée, peinte en noir comme les murs. Au sol des tapis et des coussins bariolés, pour qui veut s’asseoir au plus près des artistes.
Des rangées de chaises, en gradins, d’autres coussins à la disposition du spectateur. Les murs sombres, sont égayés par des tissus indiens, de couleurs vives. L’ensemble dégage une impression de grand calme, on se sent bien immédiatement. Avec Anne et une troisième amie, nous nous installons, échangeant quelques mots. Sur la scène, repose une sorte de gros cube, et quelques formes cylindriques que nous distinguons mal. Nous attendons …
Chante, l’oiseau, chante …
Les lumières baissent encore, et inconsciemment, une respiration vient du public. La conteuse entre en scène. Grande silhouette, longs cheveux ébène, un bonsoir et un sourire sur les lèvres, Adamante s’avance, et s’assied sur le cube, la place de celle qui se fait la voix des chants anciens. Elle se saisit d’un bâton de pluie, bois creux allongé, emplit de grains, qui résonnent doucement et nous font entendre le bruit de l’eau dans la forêt des origines.
Le Quetzal vient de se poser sur une branche du ceiba, son arbre favori, et Adamante devient l’écho de ses paroles.
Chante, l’oiseau, chante …
Le chant d’une terre jeune, qui vient à peine de sortir du chaudron primordial. Si jeune que les dieux avaient coutume de s’y rendre et de se promener parmi les humains. Si jeune que la mort n’y était qu’une étape de la vie, comme d’autres, sans les larmes de la séparation.
Tout là-bas, au creux de la forêt vivait des hommes et des femmes, un petit groupe, en bonne harmonie. A cette époque, si lointaine que même le quetzal ne sait plus le nombre d’années écoulées, les femmes veillaient sur le bâton de pluie, et la pluie tombait. Mais le dieu Soleil avait perdu de son pouvoir, et se rendit sur terre pour le dérober. Lune, la plus jeune et la plus belle du village, cette nuit-là veillait sur les objets sacrés.
Que pensez-vous qu’il arriva ? Vous le savez bien …
Le chant du quetzal, celui qu’Adamante nous interprétait en mots humains, pour que nous n’en perdions rien, nous a emmenés sur les pas de Lune.
Nous avons su comment sa tête était montée dans le ciel nocturne. Comment son corps resté dans la forêt avait donné naissance à une enfant lumineuse et belle comme les astres, ses parents.
Comment Lune avait envoyé sa fille sur terre pour retrouver son père, dans un palais somptueux.
Parcourant la forêt avec elle, nous avons croisé un serpent de grande sagesse, qui voulait rester jeune. Un grand bavard dormeur, incorrigible paresseux. Nous avons su que les larmes de Lune avaient donné la première neige que la terre avait reçue. Nous avons contemplé les eaux d’un lac amoureux, et compris que les soupirs de la fille de Lune avaient créé une brume dont était sortie la première chouette.
Le chant du quetzal s’est troublé, et il a raconté comment les hommes avaient commencé à mentir, à maltraiter les femmes, à être fourbes. Puis sa voix s’est faire légère pour dire comment la fille de Lune était tombée amoureuse d’un berger, juste avant d’être emportée par les vents cosmiques pour revenir près de sa mère.
Son père, le soleil restait à tout jamais hors d’atteinte, mais elle avait tant et tant vécu, appris et vu, qu’elle était apaisée, et resterait près de Lune, se transformant en une étoile que nous voyons toujours. Vous savez, celle qui veille sur les bergers, belle et dorée dans le ciel nocturne, quand il est plus bleu et profond que la forêt.
Le conte était fini, le quetzal s’est envolé, dans un dernier éclair de ses plumes vertes. Sa voix s’est éloignée, sa voix si rauque. Sur un geste de la main d’Adamante, nous l’avons entendue, comme le son d’une porte qui se ferme, très doucement.
La lumière s’est rallumée, nous n’étions plus au cœur de la jungle, mais dans Paris après un voyage qui nous avait emmenés …
Merci Adamante, pour ce moment de rêve dans ce monde qui fut le nôtre.
(photo des archives personnelles d'Adamante)
Anne également fait son récit personnel de cette soirée ici : lien