Cyril et le policier à l'imperméable 3
Cyril était revenu au château d’un seul coup d’aile, soulagé de ne pas avoir eu à reprendre la voiture grise cahotante du lieutenant. Il attendait l’arrivée de celui-ci sur les marches du perron, l’esprit en ébullition. Ce ne pouvait être que ce jardinier ! Le jeune page avait dû lui voler une orchidée, et avec le caractère emporté dont il faisait preuve, l’homme avait certainement voulu la récupérer et avait frappé dans un accès de colère. Qu’est-ce que le lieutenant attendait pour l’arrêter ?
La voiture était maintenant en vue, dans un nuage de fumée, se rapprochant en toussant comme un asthmatique. Le lieutenant se gara devant les marches dans un grand crissement de freins, et sortit, son cigare à demi consumé au coin des lèvres. La portière fut refermée dans un grincement et le policier monta rapidement les marches, adressant un sourire jovial au dragon :
– Ca fait longtemps que tu es là, à m’attendre ?
– Non lieutenant, pas plus de dix minutes. Mais j’ai réfléchi entre temps, le jardinier est sûrement le coupable !
– Ah oui, pourquoi ? fit le lieutenant d’un air intéressé, le regardant la tête un peu penchée de côté.
Cyril, tout à coup ne fut plus aussi sûr. C’était une chose de penser à la culpabilité de quelqu’un, et bien différent de l’exprimer à un vrai policier.
– Vas-y, n’ai pas peur, l’encourageait le lieutenant.
– Et bien, hésita Cyril.
Il connaissait le jeune page, et le garçon voulait une fleur de la serre. Il a dû la lui voler, et le jardinier se sera mis en colère. Vous avez vu comme il est sanguin !
– Oui, fit le lieutenant, pensif.
C’est possible, il avait le tempérament, et l’opportunité.
Mais tu oublies une chose, les dossiers volés, ce n’est pas un crime fait dans un accès de colère.
Allons, il ne faut pas se précipiter, il y a encore deux suspects. Viens montre-moi où je peux les trouver !
Cyril en était mortifié, dans son agitation, il avait complètement oublié les dossiers et le vol !
Le lieutenant voulait interroger en deuxième un programme d’économiseur d’énergie. Arrivés tous deux au premier étage du château, où logeait les responsables de l’écran et d’une partie de la maintenance, ils se trouvèrent devant une jolie femme, vêtue avec simplicité, ses cheveux châtains retenus en queue de cheval discrète. Tout en elle montrait la technicienne sérieuse et efficace. Elle les fit entrer dans son petit appartement, décoré avec goût, dans les teintes pastel, élégant comme sa personne.
Le lieutenant reprit ses questions, auxquelles les réponses furent données sur un ton posé et mesuré.
Oui elle avait fait la connaissance du page en entrant dans le royaume, et il lui avait fait la cour. Elle avait du temps de libre, puisque sa charge n’était pas très lourde, et elle s’était promenée dans les jardins avec lui. Ysaure - elle s’appelait ainsi- avait apprécié ces moments passés ensembles, et se déclarait navrée de ce qui était arrivé. Elle n’avait pas eu rendez-vous ce soir-là dans le fichier, et d’ailleurs elle n’irait jamais dans une partie du royaume qui lui était interdite !
Tout cela fut dit d’une manière réservée, La jeune femme ne perdant jamais son maintien assez guindé. Colombus demanda alors si elle savait si le page voyait d’autres personnes.
– Vous devriez voir cette police d’écriture qui est entrée à peu près en même temps que moi, fit-elle un peu pincée.
Je suis sûre qu’il la voyait souvent.
– Vous êtes économiseur d’énergie, fit le lieutenant. En quoi consiste votre travail exactement ?
– Principalement à éteindre l’écran s’il reste trop longtemps allumé sans que rien ne se passe.
Colombus remercia, et Cyril l’emmena vers l’entresol, où demeuraient les polices d’écriture.
Quel changement depuis sa première visite ! Les bureaux délabrés avaient fait place à un bel espace éclairé en abondance par le soleil d’après-midi. Arial black se leva, dépliant sa haute stature pour écraser la patte de Cyril dans sa poignée de main, et leur présenta la police d’écriture, une autre femme, dénommée miss English.
Celle-ci, grande, élégante et tout en courbes les précéda dans le salon d’attente des bureaux, rejetant ses longs cheveux blonds en un mouvement empreint de coquetterie.
Elle aussi connaissait le page, et s’était laissé courtiser. Il lui avait offert une orchidée de la serre, qu’elle avait gardée chez elle. La couleur ? Rose, bien sûr, sa couleur préférée. Il l’avait invitée dans le fichier où il travaillait, et elle y était allée le soir précédent, mais pas celui du crime. Ce soir-là, elle était fatiguée, et était restée chez elle, seule.
Le lieutenant la laissa repartir à son bureau, et se retourna vers Cyril :
– Alors Cyril, qu’en penses-tu ?
– C’est forcément elle ! Le pétale rose, le rendez-vous la veille, et d’ici elle a toute facilité pour envoyer des dossiers clandestinement ! Et elle n’a aucun alibi sérieux !
– Tu crois ? fit le lieutenant.
– Vous ne l’arrêtez pas ?
– Il faut d’abord que je revois certains petits détails là où c’est arrivé.
A nouveau dans le fichier classé confidentiel, Cyril attendit sur le pas de la porte un lieutenant occupé à regarder la pièce en détail, se demandant ce qu’il pouvait bien voir de plus que la première fois ? Puis Colombus interrogea les gardes qui étaient arrivés en premier :
– Vous n’avez touché à rien, vous êtes sûrs ?
Il se tourna vers le dragon, se frottant les mains :
– Cyril, il est temps de confronter les suspects, va me les chercher !
– Vous savez qui est coupable ?
– Oui, ça ne fait aucun doute, mais il va falloir jouer serré !
Cyril, au comble de l’énervement, alla prévenir les suspects qu’ils étaient attendus dans le dossier, et revint pour voir que Magnus était là, entouré de gardes. Une arrestation était proche !
Les trois arrivèrent rapidement, et s’installèrent sur les chaises préparées, comme Magnus, qui les regarda d’un air sévère.
Le lieutenant leur fit face et commença son exposé :
– La nuit dernière, quelqu’un est venu ici pour voler des dossiers et pour y arriver, ce quelqu’un a profité de la naïveté et du manque de sérieux du page qui était de service. Ce voleur s’est cru très fort, en ne laissant qu’un seul pétale de fleur par terre comme indice. Etait-ce vous m’sieur ? fit-il au jardinier,
Pour laisser un indice si évident qu’il ne pouvait que vous disculper ?
Le jardinier bondit :
– Je ne suis jamais venu ici avant !
Mais le lieutenant enchaînait :
– Et vous, mesdames, qui avez été toutes deux courtisées, et invitées ici même !
s’adressant à Ysaure :
– Vous aviez tout le temps de venir et de repartir sans être remarquée, en pleine nuit vous n’avez pas à surveiller les dépenses d’énergie, puisque tout est éteint dans le monde réel.
Et sans écouter ses protestations, il se tourna vers miss English :
– A votre poste, il vous est facile de transmettre des dossiers, sans être remarquée, et qui me dit que vous êtes restée dans votre appartement ?
La phrase se perdit dans un concert de protestations, auquel le lieutenant répondit en levant une main apaisante :
– Mais un seul ou une seule est coupable, et un petit détail l’a trahi. J’ai fait perquisitionner vos logements, et on a trouvé la trace du transfert des dossiers sur une ligne.
Tous retinrent leur souffle, et Cyril sentit son cœur battre si fort, qu’il pensa que le bruit allait envahir la pièce !
Le lieutenant resta un instant immobile, puis s’approcha d’Ysaure :
– Dès le début j’ai compris que c’était vous. Vous avez presque réussi, mais on ne se refait pas et il y a toujours un détail qui trahit !
Cyril en était abasourdi ! Quoi, cette personne à l’air si respectable !
– Comment avez-vous deviné ? demandait-elle avec un petit sourire, admettant la défaite.
– Quand je suis arrivé, rien n’avait été touché, seulement le page, qui avait été emmené.
Alors, et il marqua une légère pause :
– Qui avait éteint la lumière ?
Il n’y avait qu’un logiciel économiseur pour avoir ce réflexe !
Magnus émit un petit sifflement, avant de faire signe aux gardes qui emmenèrent Ysaure, le logiciel espion.
Une heure après, le lieutenant et Cyril étaient de retour sur le perron, et se disaient au-revoir :
– Jamais je n’aurais trouvé, déclarait Cyril avec enthousiasme.
– Tout est question de petits détails, répondit Colombus en souriant.
Il leva la main au-dessus de sa tête, en guise de salut, avant de rentrer dans sa voiture :
– Un dragon comme assistant, quand ma femme saura ça !!
Pour le challenge Dragon de Catherine