Cyril et le t-rex
Magnus Discus était en colère, très en colère.
Tous les habitants pouvaient l’entendre vociférer depuis son antre d’un bout à l’autre du royaume Pc. Les cavaliers dossiers restaient muets dans leurs châteaux, les écuyers logiciels s’activaient en silence, et même Dame Outlook, intendante générale des courriers du domaine, personne qui ne se laissait pas impressionner par les nombreuses colères de Magnus, était sortie sur le pas de sa porte, abandonnant sa gestion, pour écouter. Elle était retournée bien vite chez elle, refermant soigneusement l’accès de son programme, quant à son filleul, Outlook express, il n’avait pas montré le bout d’un octet.
Cyril, du fond de son fichier, entendant la grosse voix de Magnus, se fit tout petit, espérant que Cerise n’allait pas l’appeler au même moment, pour lire une page de ses contes, ou l’envoyer en mission dans son blog. Il n’avait vraiment pas envie de sortir pour se retrouver sous les yeux de Magnus quand il était dans cet état là.
Il prêta l’oreille pour comprendre ce qui se passait.
Magnus en avait après un fichier nouveau venu, dont le représentant, un page assez grassouillet que Cyril avait croisé plus tôt, restait figé sans pouvoir placer une parole.
‒ Comment ça, vous ne pouvez pas ouvrir votre fichier ?!! tonnait Magnus,
‒ Voilà deux fois que Cerise demande lecture de votre livre, et que vous ne pouvez la satisfaire ! Je ne peux pas tout faire dans ce royaume ! Il faut déjà que je m’occupe des dossiers de son père, que je gère les visio-conférences qu’il tient avec l’étranger, et croyez-moi, quand il faut discuter avec les mages des autres pays, qui ne parlent pas la même langue, ce n’est pas toujours simple ! Il y a aussi les travaux de recherches de sa mère, et là je dois m’expliquer avec Maître Google, alors je voudrais bien que pour quelque chose d’aussi simple, on puisse se passer de moi ! .
Cyril n’entendit pas la réponse que fit le page, mais elle fut suivie par une explosion de Magnus :
‒ Vous ne savez pas pourquoi l’ouverture est impossible ! Sacrebleu ! @*** !!!@§§!!¤
La suite d’imprécations que proféra Magnus fit frémir les habitants de Pc qui bien entendu écoutaient tous aux portes.
‒ Mais alors, à quoi servez-vous, je vous le demande ! J’ai bien envie de vous envoyer à la corbeille, voir ce qui arrive aux incompétents.
Cyril savait très bien que jamais Magnus ne ferait une chose pareille de son plein gré, mais il en frémit, et le pauvre page devait être terrifié. La voix de Magnus reprit, le clouant sur place :
‒ Cyril, mon garçon, viens ici immédiatement ! .
Qu’est-ce que Magnus pouvait bien lui vouloir ?
‒ Oui Messire, tout de suite, répondit Cyril d’un ton qu’il aurait préféré plus assuré.
Il rassembla son courage, et prit son vol vers la grande salle du conseil où siégeait Magnus en permanence. Arrivé là, il vit le page, tout pâle, l’air malheureux, qui le regarda entrer, plein d’espoir.
‒ Cyril, commença Magnus,
Je suppose que tu as compris que ce page est incapable d’ouvrir son livre. Tu viens d’un livre, tu vas aller essayer de l’aider, moi j’ai vraiment autre chose à faire ! Et dépêchez-vous, Cerise est sortie, mais elle ne va pas tarder à rentrer.
Il les congédia impatiemment, retournant à sa gestion et aux affaires du royaume.
Cyril et le page sortirent, faisant lentement le chemin vers le livre. Cyril apprit ainsi que Cerise avait demandé le téléchargement d’un e-livre gratuit, consacré à la préhistoire. Sa mère était professeur de science naturelle à l’université et Cerise allait souvent au muséum, fascinée par les squelettes des grands animaux qui peuplaient la terre à cette époque. Le page lui montra son livre, bien rangé dans l’espace fichier qui lui avait été attribué. Le volume était épais, bien plus que celui de Cyril, avec une illustration à chaque feuillet. Le passage qui y menait, n’était qu’entrebâillé, et le page, malgré tous ses efforts, n’avait pu le dégager davantage. Ils tentèrent à deux, mais il résista avec opiniâtreté.
‒ Je vais aller voir, finit par dire Cyril,
Je trouverai bien pourquoi ton livre ne s’ouvre pas !
‒ Je t’en serais éternellement reconnaissant fit le page, soulagé de ne plus être seul,
Sois prudent, les créatures qui vivent là-dedans ne sont pas très accueillantes !
Prenant une inspiration, Cyril se faufila dans l’ouverture, se glissant à l’intérieur, pour se retrouver en première page. Il eut le vertige en se voyant en plein vide, entouré du bleu de nuit piqueté de poussières du système solaire encore en formation. Au loin le soleil, plus loin encore, les galaxies tournaient lentement sur leurs axes. Cyril vit le chemin vers les illustrations suivantes, et voleta vers elles. La première montrait un paysage presque entièrement maritime, avec un grand continent qui émergeait lentement. Des volcans grondaient, des éclairs traversaient le ciel, et des météorites tombaient dans un bruit assourdissant, aussitôt recouvertes par les vagues. D’illustrations en illustration, des créatures marines apparurent, dans des coquilles aux dessins compliqués, agitant leurs tentacules. D’autres sortirent de l’eau, se traînant sur le rivage, puis marchant avec de plus en plus d’aisance, abandonnant l’élément liquide. Les terres se couvraient de plantes et d’arbres, purifiant une atmosphère jusque-là irrespirable. Pas encore de fleurs, ni d’herbe, mais du vert ; partout
Les animaux s’adaptaient, grossissaient, peuplant des forêts denses de leurs cris. Ils étaient de plus en plus gros, ébranlant le sol de leur pas lourd, mangeant les pousses aux sommets des arbres et des fougères. L’un d’eux tenta même d’attraper Cyril, tant son cou était long. Il l’esquiva, et finit par se retrouver devant une porte qui restait obstinément fermée, au contraire des autres. Le problème devait se trouver à cet endroit, estima le petit dragon, pesant de toutes ses forces sur le panneau. Celui-ci finit par céder un petit peu, révélant un paysage tropical, d’un vert intense, sous une forte chaleur. Un groupe de petits carnivores chassant en bande passa devant lui à toute vitesse, des herbivores broutaient paisiblement, des oiseaux étranges et gigantesques volaient très haut dans le ciel bleu dur. Tout avait l’air en ordre, pourquoi ne pouvait-on entrer normalement ? Quelque chose attira l’attention de Cyril, caché derrière un arbre. Il en fit le tour avec précaution, et se retrouva devant un animal qu’il avait déjà vu dans la planche précédente. Un terrible chasseur celui-là, avec des crocs acérés, et des écailles épaisses le protégeant des cornes de ses proies. Pourtant, dissimulé dans les feuillages, il ne bougea pas quand Cyril s’approcha. Plus surprenant encore, ce qu’il pouvait voir des écailles était bleu azur ! Pas la couleur habituelle.
‒ Bonjour risqua Cyril, restant à distance prudente.
Un museau bleu se montra, puis tout un corps de même couleur, avec des écailles dorsales multicolores.
‒ Qui es-tu ? demanda-t-il encore,
Tu n’es pas comme les autres habitants.
‒ Je m’appelle Edna, répondit la créature, d’une voix flûtée, je suis un t-rex.
‒ Tu n’es pas un vrai t-rex ! dit Cyril, Tu leur ressemble un peu, c’est tout.
‒ L’auteur du livre a fait une erreur de photo avec une voisine. Moi je suis un jouet. Je suis complètement perdue ici, fit Edna, désespérée.
Tout le monde me dit que je suis un prédateur féroce, que je dois chasser. Je n’ai pas du tout envie de chasser ! Tout ce que je veux, c’est jouer avec des enfants ! Et elle se mit à pleurer.
‒ Ne pleure pas, dit Cyril, tout ému. Puis il eut une illumination :
Ton format n’est pas pris en charge ! L’auteur s’est trompé dans son programme, c’est pour cela que le livre ne s’ouvre pas.
Il reprit avec une certaine autorité : Viens avec moi, nous allons voir Magnus Discus. Tu n’as rien à faire ici. Lui, il saura comment agir.
‒ Tu crois ? fit Edna, avec espoir.
‒ J’en suis sûr, allez viens.
Edna ne pouvait pas voler, aussi, c’est à pied que les deux amis firent le trajet de retour, vers Magnus et sa salle de conseil, accompagnés du page soulagé de voir qu’une solution était en vue.
‒ Et bien, qu’avons-nous là, fit Magnus, en découvrant Edna.
‒ Edna a été insérée par erreur, Messire, répondit Cyril,
C’est pour cette raison que le livre ne s’ouvrait pas, les formats étaient incompatibles.
‒ C’est ma foi vrai, dit Magnus, en foudroyant le page du regard,
Tu aurais pu t’en rendre compte tout seul ! Retourne vite faire ton travail, et qu’il n’y ait plus de problèmes.
Le page fila sans demander son reste, murmurant un merci à Cyril au passage.
‒ Et maintenant que vais-je faire de toi, petite, dit Magnus, regardant Edna qui baissait les yeux, toute timide.
‒ Si vous permettez Messire, osa Cyril,
Edna a été créée comme moi pour les enfants. Pourquoi ne viendrait-elle pas animer un conte avec moi ? Justement, j’en ai un sans personnage, et …
‒ D’accord, d’accord, répondit Magnus, allez voir sire Paint pour les formats, et qu’elle s’installe chez toi. Cerise ne va pas comprendre, mais tant pis. Laissez-moi travailler maintenant les enfants.
Cyril et Edna saluèrent respectueusement, et sortirent, se dirigeant vers le livre de contes.
Presque à la porte, ils entendirent Magnus de loin :
‒ Merci Cyril, bon travail ! Qui fit se rengorger le petit dragon.
*
‒ Maman regarde, fit Cerise,
Il y a une image que je n’avais jamais vue avant dans cette histoire.
‒ Tu n’avais pas dû la lire, répondit sa mère.
‒ Non, non, je suis sûre, elle n’était pas là !
Sa maman se pencha sur l’écran pour regarder Edna.
‒ On ne dirait pas un personnage de ton livre, on dirait plutôt un t-rex. Qu’est-ce qu’elle vient faire là ? Décidément cet ordinateur me surprend chaque jour davantage.
‒ Ca ne fait rien, cette image me plait bien, répondit Cerise,
Tu ne trouves pas qu’ils se ressemblent avec Cyril ?
‒ Un peu. Beaucoup de chercheurs pensent que la légende des dragons est née de la découverte de squelettes de dinosaures par les premiers hommes.
Edna et Cyril échangèrent un sourire complice.