Journée de papotages chez Patricia
Souvenirs de répétitions
Aujourd’hui, nous sommes le premier, et comme tous les premiers, nous avons rendez-vous chez Patricia pour une séance de papotage. Les souvenirs tout frais de fête sont encore dans les esprits. J’en vois qui ont sommeil après une nuit un peu agitée, mais tout le monde est là, autour de notre hôtesse.
J’en profite pour vous souhaiter une très belle année, espérant qu’elle a bien commencé. Et un toast tout spécial pour toi Patricia, qui nous permet de nous retrouver ainsi, en toute amitié et complicité pour un moment si convivial.
Alors, de quoi allons-nous parler ? J’y ai pensé ces jours-ci, j’ai bien envie de vous raconter quelques souvenirs musicaux. Des souvenirs de répétitions auxquelles j’ai assisté, pour être plus précise. Et croyez-moi, ce n’était pas triste !
Le tout premier remonte à …ouh, ça fait longtemps ! A cette époque, j’étais apprentie danseuse, et je prenais des cours salle Pleyel. Si vous ne connaissez pas, c’est non seulement une salle de spectacles, mais aussi un ensemble de studios de danse, où l’on peut répéter.
Donc, je prenais mon cours, et là, entre deux exercices, rythmés par le piano, une voix se fait entendre, amenée par l’escalier en colimaçon. Je dresse l’oreille, la voix est pour le moins connue et reconnaissable. La musique ? Du Wagner, Tristan et Isolde pour tout dire. Ni une ni deux, j’abandonne discrètement le cours, pour aller me poster dans l’escalier qui passait juste derrière la salle de concerts. C’est comme cela que j’ai pu entendre Birgit Nilsson répéter, moment inoubliable.
Souvenir aussi de cette répétition de l’opéra de Berg, Lulu, à laquelle Pierre Boulez himself m’avait donné l’autorisation d’assister.
Cela se tenait à l’opéra Garnier, qui est un vrai labyrinthe, si on ne connait pas. Une fois là, et entrée, euh … où faut-il aller ? La solution est venue d’un des chanteurs, un très gentil monsieur, basse de son état et rôle secondaire de la production qui y allait aussi. Il m’a pilotée, disant à un planton de rencontre : « maître Boulez a donné son accord » (oui, on dit maître) Comment vous décrire ? Ce chanteur donnait l’impression de parler en son dolby stéréo ! Je n’ai jamais réentendu une voix parlée comme cela, aussi profonde et avec autant de résonnance.
Souvenir de la fois où je me suis faufilée dans une répétition à la maison de la radio, des « noces » de Stavinsky, dirigée par Boulez (toujours lui, le meilleur des chefs selon moi)
Les noces, œuvre majeure est une pièce étincelante, avec orchestre, chœur, soliste et quatre pianos. Ca doit claquer, éclater et « chauffer ».
Et bien croyez-moi, ça chauffait ! Nous étions en été et la salle, plutôt confinée comme souvent, était une sorte d’étuve. Tout le monde sur scène en polo ou bras de chemise à s’éponger entre deux mouvements. Entre deux mouvements aussi, ou pendant, un orchestre qui chaleur aidant, était plutôt …dissipé. Autrement dit, discussions, rires et fantaisies, pendant que Boulez parlait. Je ne sais comment sont les jeunes maintenant, mais dans les années quatre-vingt-dix, les orchestres français étaient assez facilement euh …indisciplinés. Et face à eux, si l’orage éclatait, les chefs n’avaient pas le dessus !
Côte chœur et solistes, ça allait. Les pianistes (je ne me rappelle plus qui ils étaient, des pointures il me semble) ne bougeaient pas, mais les premiers violons, avec à leur tête Régis Pasquier, c’était autre chose. Les noces donnaient à ce moment l’impression d’une sorte de pagaille, menée par un chef détrempé, lequel a fini par s’énerver :
Vous ne pouvez pas vous taire, c’est insupportable etc …
Il a eu le silence, oh … cinq minutes, et c’est reparti de plus belle.
Le soir venu, et avec lui l’heure du concert, la température n’avait pas baissé, mais le miracle était là. Un orchestre qui se donne à deux cents pour cent et des noces flamboyantes. C’est ce qui fait la force de nos musiciens, j’en ai encore eu la preuve il y a peu avec un château de Barbe bleue d’anthologie à Pleyel.
D’autres images ? Celle de Marc Soustrot, dans la quatrième symphonie de Tchaikowsky , négligemment appuyé sur la barre de protection du pupitre, dirigeant la répétition d’une main, voire d’un doigt, face à un orchestre de Paris survolté, noyant la salle à peu près vide, de flots de musique au romantisme exacerbé. A peu près vide, mais pas tout à fait, car à cette époque, on pouvait facilement entrer, si on était assez discret, et Soustrot n’avait pas l’air d’être contre (depuis hélas, il y a des grilles)
Cet après-midi-là, dans cette salle, nous étions tous russes !
Et en parlant de russes, ce souvenir qui n’est pas le mien, mais un de ceux de Arthur Rubinstein (j’adore cette histoire)
Tout jeune, il se rend dans une salle à Moscou je crois, pour une quelconque audition. Une répétition est en cours, il s’agit d’un des concerti pour piano et orchestre de Prokoviev. Et là, il voit sur scène, devant l’orchestre au grand complet, une sorte de fou furieux, torse nu au piano, qui hurle au chef tout en jouant :
Ne vous occupez pas de moi, occupez-vous des tempi !
Renseignements pris, le fou furieux était Prokoviev lui-même.
Voilà, quelques instantanés, mais je parle, je parle. C’est à vous maintenant !
Je vous laisse quand même quelques morceaux, si vous avez envie d’entendre (sans oublier d’arrêter les zosiaux à gauche)
Bises ! moi je vous retrouve demain.