L'imperméable rouge (conte revisité)
– Mamie, c’est moi ! Je suis là !
Tout en disant ces paroles, je jetais mon imper rouge sur la chaise qui servait souvent de débarras dans l’entrée, recevant tour à tour, manteaux, sacs ou écharpes, alors que ma grand-mère l’avait placée là pour la décoration, et me houspillait régulièrement à ce sujet.
J’étais assez mécontente, sur le chemin, je m’étais laissé retarder par deux personnes, qui m’avaient parlé de leurs soucis de santé pendant un bon moment. Normal, je suis infirmière, mais pas tout le temps en service !
Et pendant ce temps là, le beurre risquait de fondre, avec la chaleur ! J’avais rendez-vous avec ma grand-mère pour déjeuner, et avais promis d’apporter les yaourts, le beurre et les gâteaux du dessert, et voilà que j’étais sérieusement en retard ! De plus, en partant tôt le matin, j’avais enfilé cet imper rouge, mon préféré, qui maintenant me tenait trop chaud, le ciel ayant décidé de se mettre au grand beau.
Je le laissais en tas sur la chaise, et me ruais vers la cuisine pour mettre mes provisions au frais, tout en appelant encore ma grand-mère. C’était quand même étrange qu’elle ne réponde pas ! Je me souviens de cette réflexion, et encore maintenant je n’arrive pas à comprendre comment je n’ai pas été plus inquiète ?
Sans attendre de réponse, elle devait être au téléphone avec une amie, je suis entrée en coup de vent dans la cuisine, mon panier à la main … pour me trouver devant le canon d’un revolver ! Je me suis arrêtée pile, statufiée par la surprise.
– Pas de cris, vous êtes seule ?
– Ou- oui..
J’ai repris suffisamment de moyens pour demander d’une voix enrouée :
– Ma grand-mère ?
– Il n’y avait personne quand je suis entré, me répondit l’homme d’un ton tranchant, tout en me saisissant par le bras.
Il me fit faire demi-tour, le revolver toujours pointé vers ma tête, et me poussa en avant vers le salon, pour vérifier que j’étais bien arrivée seule. Voyant qu’il n’y avait personne, la tension s’est un peu relâchée sur mon bras :
– Asseyez-vous !
L’ordre était sans réplique, j’ai obéis sans un mot, m’asseyant sur une chaise à haut dossier près de la table où nous étions sensées prendre ce repas, pour lequel j’avais fait les courses.
Qu’allait-il se passer quand ma grand-mère reviendrait ? Pour le moment mon agresseur regardait par la fenêtre, soulevant légèrement le rideau, pour observer la rue.
Je me suis rendue compte que je n’avais plus peur. Pourquoi ? Comment ? Je crois maintenant que j’avais l’absolue certitude que j’allais mourir dans très peu de temps, et cette certitude avait balayé la peur.
– Que voulez-vous ? ai-je demandé calmement.
Il a tourné la tête vers moi, sans lâcher le rideau. Un visage mince, presque émacié, des cheveux châtains en broussaille, une physionomie qui aurait été banale sans les yeux dorés, comme ceux d’un fauve. J’avais vu les mêmes en croisant un loup, un jour, dans un parc naturel. Un rayon de soleil faisait briller les prunelles claires, comme pour s’y loger.
Il ne répondait pas, alors j’ai repris :
– Que voulez-vous ? Ma grand-mère va rentrer, vous ne pouvez pas rester !
C’était complètement idiot, mais c’est tout ce qui m’est venu à ce moment. Il s’est détaché de la fenêtre, et a ramassé un bout de papier sur la desserte, qu’il m’a tendu. Ma grand-mère y avait écrit quelques mots, pour expliquer qu’elle allait chez une amie malade, et y resterai toute la nuit. Elle aussi avait été infirmière, et je lui disais souvent que les « amies » en profitaient, mais cette fois, je remerciais mentalement la soi-disant patiente.
– J’ai besoin de temps, me dit l’homme, de façon soudaine.
– Vous êtes poursuivi ?
– On peut dire ça …
– Pourquoi ici ?
– La plaque d’infirmière.
Cette plaque que ma grand-mère n’avait jamais fait retirer ! Je le regardais plus attentivement. Il portait un pull léger de couleur sombre, et au niveau de l’épaule une tache plus sombre était en train de s’élargir.
– Vous êtes blessé ?
Je ne sais pas ce qui m’a pris :
– Je suis aussi infirmière.
Il a eu une hésitation :
– Vous pouvez faire quelque chose ?
Sans réfléchir je me suis levée, il a pointé son arme sur moi, dans un geste d’une telle rapidité que j’ai cru mes derniers instants arrivés. Il y eut un silence de fin du monde, puis j’ai réussi à prononcer :
– Je vais juste chercher de quoi vous soigner. Après tout, c’est pour cela que vous êtes entré.
– Si vous tentez quoi que ce soit …
J’ai simplement hoché la tête, et je suis allée prendre ce qu’il fallait dans la salle de bains. J’ai tout déposé sur la table :
– Il faudrait ôter votre pull.
Il a posé le revolver, et sans me quitter des yeux, a retiré le vêtement, avec une petite grimace de douleur.
Ce n’était pas très joli, il devait en fait beaucoup souffrir. La balle avait traversé l’épaule de part en part, déchirant les chairs de belle façon. J’ai sorti une seringue de la trousse, avec un anesthésique.
– Pas de piqûre !
– Sans anesthésie, ce n’est pas possible ! ai-je protesté.
– Pas de piqûre..
J’ai soigné comme j’ai pu, nettoyé la plaie, comprimé avec des pansements hémostatiques, je ne pouvais faire plus. Il n’a rien dit, mais ses traits étaient tirés quand j’ai eu fini.
– Et maintenant ? J’ai eu du mal à le dire :
Vous allez me tuer ?
Il a esquissé un mince sourire :
– Je partirai quand je serai sûr que personne ne m’attend dehors. Trouvez-moi un autre pull.
Je lui ai apporté un sweat-shirt que j’avais laissé dans ma chambre, trop grand pour moi.
– Essayez de ne pas trop bouger le bras, pour ne pas saigner… Le conseil était venu automatiquement.
Je me suis rassise, et nous avons attendu, en silence. J’ai regardé le revolver, posé sur ses genoux :
– Vous avez tué beaucoup de monde ces temps-ci Pierre-François ? La réplique célèbre était montée à mes lèvres sans que je puisse la contrôler.
– Les enfants du paradis… j’aime aussi ce film. « Paris est tout petit… »
Aujourd’hui ce devait être la dernière fois..
– Que quoi ?
– Peu importe..
– Et ceux qui vous poursuivent ?
– Personne ne connaît mon visage, si je peux partir, ils ne me trouveront pas.
– Personne ?
Il n’a pas répondu.
Il est sorti un peu plus tard, après avoir enfilé sa veste avec efforts. Sur le pas de la porte, il s’est retourné et m’a regardée, ses yeux de loup droit dans les miens, puis a dévalé l’escalier. Je suis allée à la fenêtre, et l’ai vu se couler dans la foule de la fin d’après-midi, et disparaître.
Un policier est venu le lendemain pour interroger ma grand-mère, elle me l’a raconté après, un inspecteur aux manières de chasseur. Elle avait un drôle d’air en me regardant, mais elle n’a rien demandé.
Il y a un an de tout cela. Pendant plusieurs semaines j’ai scruté la presse aux faits divers, mais rien, alors j’y ai un peu moins pensé.
Je l’ai revu ce matin, j’attendais le feu rouge pour traverser, il était de l’autre côté de la rue, au même feu, et n’avait rien de différent des autres hommes. Le soleil brillait à nouveau, et l’espace d’un instant il était emprisonné dans ses yeux. Il y avait du monde, et je ne craignais rien, pourtant j’ai traversé le regard rivé au sol, comme dans un rêve.
Il est passé tout près de moi, et ses doigts ont frôlé ma main.
Alors ? .. Arrivée sur l’autre trottoir, je me suis retournée.