La piscine (conte)
ce conte, écrit il y a quelques temps déjà, et dont j'aime l'ambiance ...

Il arrive parfois des choses étranges, jugez-en :
C’était pendant le mois d’Août dernier, je faisais le trajet de Paris vers la côte d’azur en voiture. Il ne s’agissait pas de vacances, mais bien d’une obligation professionnelle, et j’avais préféré prendre ladite voiture, devant me déplacer beaucoup une fois arrivée. Mal m’en avait pris ! La chaleur était accablante, et la climatisation de mon vieux tacot avait rendu l’âme en cours de route. Je roulais donc toutes fenêtres ouvertes, sans grand résultat ni réel soulagement . Je suis passée un peu par hasard par la petite ville de R… avec dans l’idée de m’arrêter à une terrasse de café ombragée, pour commander un rafraîchissement ou une glace, et me reposer un peu.
La petite ville était complètement assoupie sous la chaleur, en ce début d’après-midi. Personne dans les rues, pas un café, restaurant ou même simple bistrot d’ouvert. Le seul être vivant que je vis, était un chien qui faisait sa promenade tout seul, et se hâtait vers une porte entrebâillée. Je commençais à être vraiment fatiguée, et envisageait sérieusement de me garer sous un grand marronnier pour souffler un peu, quand passant dans une petite rue, j’avisais l’entrée d’une piscine, dont la porte était largement ouverte, sur l’intérieur de ce qui me parut une ombre délicieuse.
Pourquoi pas ? L’idée de l’eau où tremper mon corps surchauffé me fit un effet irrésistible, et puisque j’avais un maillot dans le cas improbable où j’aurais le temps d’aller à la plage, je ne résistais pas plus longtemps.
Je me garais un peu plus loin dans la rue, et descendis de voiture. Rue était d’ailleurs un bien grand mot, il s’agissait plutôt d’un passage entre deux rues, sans aucun autre édifice que la piscine, bordé des deux côtés de fleurs qui éclataient de couleurs sous le soleil. Mon sac à l’épaule, mon maillot, un bonnet et une serviette dans une besace, je me dépêchais de rentrer.
Le hall me fit l’effet d’une renaissance, il y faisait sombre et frais, les décorations de céramique représentant des sirènes nageant, du plus beau style art déco, tout comme la façade, me ravirent. À la caisse, un homme d’âge moyen lisait un journal dont je ne reconnus pas le titre. Il était en chemise blanche, avec un gilet soigneusement boutonné malgré la chaleur, et portait de superbes moustaches en guidon de vélo. Il me fit un bonjour poli en me vendant mon ticket d’entrée, et retourna bien vite à son journal.
Je me dirigeais vers les vestiaires, montant un escalier à la rampe tarabiscotée, et me retrouvais en hauteur, au dessus du bassin, les cabines étant situées sur une sorte de mezzanine. Je ne m’étais pas trompée, la piscine était tout entière d’architecture années folles, un vrai bijou d’époque , comme on en rencontre encore de temps en temps. Je pris le temps de regarder l’eau, m’accoudant à la rambarde de fer forgé ouvragée. Il y avait très peu de monde, un homme faisait des longueurs dans un style souple, trois enfants jouaient tranquillement dans le petit bain, sous la surveillance d’une femme. Un autre homme exécuta un impeccable plongeon, qui ne fit presque aucune éclaboussure. Un maître nageur, en pantalon et polo blanc regardait la scène, assis près du bord. Le silence était remarquable, personne ne parlait, les enfants barbotaient en silence, la femme assise au bord, faisait aller et venir ses pieds dans l’eau, doucement. Je remarquais son maillot, de ceux qui reviennent à la mode, une pièce, descendant sur les cuisses, de couleur foncée.
Un jeune homme dans le même uniforme blanc, vint vers moi, avec un sourire, m’ouvrit une cabine, m’en donna la clef, reçut mon pourboire avec un petit salut, avant de repartir à ses affaires derrière une porte où le mot « personnel » était écrit en grand.
Je me déshabillais rapidement, suspendant mes affaires au porte-manteau, laissant mon sac sur le petit banc, et descendit vers le bassin. La douche me fit déjà un bien inouï et je me retrouvais devant l’échelle du petit bain pleine d’entrain. Nous échangeâmes un petit sourire avec la jeune femme et je me mis à l’eau avec précaution. Elle était fraîche après tant de chaleur, il me fallut quelques pas avant de me plonger, et de commencer à nager. Je ne suis pas une grande nageuse, mais je me défends, et j’enchaînais les longueurs de brasse pendant un bon moment, sans forcer, en m’étirant bien. La longueur du bassin était de trente trois mètres, dimension abandonnée dans les constructions modernes, pour une profondeur de trois mètres au plus. L’eau était remarquablement pure et douce, et le tout baigné d’une lumière un peu verte venant de fenêtres aux vitres ornées de grandes fleurs, comme des vitraux .
Un coup d’œil à l’horloge suspendue au plafond me fit reprendre conscience des réalités, et je dus à regret sortir de l’eau, me rhabiller et quitter cet endroit si agréable. Le caissier leva le nez de son journal en me voyant passer, me faisant un signe de tête, avant de reprendre sa lecture.
Je me sentais fraîche et reposée en ressortant dans la fournaise, impression qui ne me quitta pas quand je me mis au volant. J’avais laissé la voiture sous un arbre, et il y faisait relativement bon. Je m’appuyais au dossier, fermant les yeux un instant, pour les rouvrir une demie heure plus tard, d’après le tableau de bord. Je maugréais contre moi-même en mettant le contact pour reprendre la route, et le voyage se déroula bien, quoique en retard.
Une semaine après, mes affaires réglées, je retournais vers Paris, et passait à nouveau par R.. avec l’idée bien arrêtée de retourner me baigner dans cette adorable piscine, ayant tout le temps devant moi cette fois-ci. Il faisait toujours beau mais moins chaud, et j’arrivais en fin d’après-midi. Il y avait du monde dans les rues, des gens qui vaquaient à leurs occupations, rentrant et sortant de magasins, bureaux et cafés bien ouverts ce jour là. Je ne sais pas comment je m’y pris, impossible de retrouver le passage ! Je finis par en avoir assez de tourner en rond, et m’arrêtais devant un fleuriste pour me renseigner. La propriétaire écouta ma demande avec un air concentré puis surpris :
-« La piscine art déco ? Vous devez faire erreur, il n’y a rien de ce genre ici ! La piscine municipale est par là… »
Je l’arrêtais au milieu de sa phrase, insistant sur ma description qui amena une expression très perplexe sur son visage :
-« Il y a bien un bâtiment de ce genre, mais il est fermé depuis plus de dix ans. Les promoteurs se battent pour le récupérer, et en faire des immeubles, mais plusieurs associations s’y opposent, et l’ont fait classer aux monuments historiques. Résultat, il est à l’abandon, et la piscine se dégrade paraît-il. C’est très dommage. Vous devez confondre avec une autre petite ville comme la nôtre » conclu t-elle, souriante.
Je ne savais plus que croire en retournant à la voiture. Je m’étais endormie ce jour là, aurais-je tout rêvé ? À l’arrivée mon maillot était parfaitement sec, mais avec la chaleur, ce n’était pas étonnant. La fleuriste m’avait quand même indiqué le chemin, et je retrouvais enfin le passage. Le soleil ne l’éclairait plus à cette heure tardive, et les planches qui barraient la porte n’avaient rien d’accueillant. Etonnant de voir ce que fatigue et chaleur combinées peuvent suggérer comme rêve !
Un peu triste, je repartis vers la capitale. En arrivant, selon mon habitude, je rentrais dans ma librairie, pour prendre le journal, et comme d’habitude, mon porte monnaie se cachait au fond de ce capharnaüm que je nomme sac à main. En fouillant pour le rattraper mes doigts se sont refermés sur un petit carton rectangulaire. Saisie d’un pressentiment, je le remontais à la surface. Le ticket d’entrée de la piscine ! Je louchais pour lire la date :
Dix août 1930.