Le lac asséché
Est-il encore temps ?
Je sens des forces obscures s’agiter autour de moi, celles que je sens depuis des mois, des années, mais elles gagnent en puissance, et je ne sais si je peux encore échapper au destin que mon inconscience a tracé.
J’avance dans cette forêt, aussi vite que je le peux, enjambant des souches, accrochant mes vêtements aux ronces, et je ne suis pas sûr de mon chemin. Cela remonte à tellement longtemps, et pourtant je m’en souviens comme si c’était hier.
C’était il y a trente ans, trente ans tout juste. J’étais si jeune..
Je me promenais dans cette même forêt de l’ouest, un matin de bonne heure, j’ai toujours aimé me lever de bonne heure.
Il faisait beau, c’était l’été, et à cet instant matinal, il ne faisait pas encore trop chaud. Cela n’allait pas durer, car la journée promettait d’être torride, tout l’été était torride.
Je marchais dans une pénombre encore fraîche, il n’y avait personne, et seuls les oiseaux et les feuilles desséchées qui craquaient sous mes pieds, faisaient un peu de bruit, sinon, s’était un silence comme je n’en ai plus entendu depuis
Des points de lumière apparaissaient ça et là sur le sol, tachant le vert profond du sous bois et traçant des lignes obliques dans l’air doré, autour desquelles dansaient des paillettes brillantes.
Je n’étais enfoncé bien plus loin que de coutume, dans une partie de ce monde d’émeraude que je ne connaissais pas. J’étais plein de confiance, la forêt n ‘était pas si grande, je retrouverai bien mon chemin !
Je continuais de marcher, curieux de voir ce qui pouvait se cacher entre ces arbres centenaires qui dressaient leurs troncs jusque haut vers le ciel, laissant le sol garder des secrets immémoriaux sous les feuillages épais.
J’ai franchi encore un fourré, et là, j’ai eu une surprise, celle qui devait changer ma vie.
Dans une grande clairière, je me suis trouvé devant ce qui avait dû être le lit d’un grand lac, une étendue réellement importante et profonde, alimenté par une rivière qui se perdait entre les arbres.
Je me suis avancé sur la rive, pour constater que le lac était pratiquement à sec. Forcement, chaleur et sécheresse faisaient la une des journaux cette année là . Au lieu de l’étendue d’eau attendue, les parois descendaient en pente douce sur plusieurs mètres, pour rejoindre un fond mis à nu, jonché de feuilles.
Je restais un bon moment à regarder, sans bouger, espérant que cette période étouffante prendrait fin rapidement, et me promettant de revenir quand le lac se serait reformé.
C’est alors que je l’ai vu briller, un objet à demi enfoui dans les feuilles et les détritus végétaux.
Je suis descendu sur la berge en pente douce et je me suis avancé, dévoré de curiosité. Le sol était boueux, collant, l’eau imprégnait les feuilles, et j’enfonçais à chaque pas, presque jusqu’aux chevilles, ayant de plus en plus de mal à soulever mes chaussures détrempées. Je suis arrivé au milieu, là où j’avais vu l’éclat du métal. J’ai écarter les feuilles moisies avec les mains, de plus en plus fébrile, et je l’ai sorti de sa retraite de végétal et d’eau stagnante. Je ne m’en suis pas aperçu sur le moment, après seulement j’ai réalisé le silence qui était tombé sur le bois pendant que je l’admirais, un objet ancien, incroyable, comme le monde n’en avait jamais vu, et que personne ne croyait réel. Je le tenais, cet objet, dans mes mains, j’étais sûr de ce que c’était, le travail, les ciselures, les arabesques gravées, si fines que l’humain ne pouvait les avoir faites.
J’ai été fou, j’ai voulu posséder ce que j’aurais dû remettre dans son sanctuaire et je l’ai emporté, ramené avec moi, jusqu’à la voiture, enveloppé dans une couverture, puis chez moi, où je ne me lassais pas de contempler cette merveille.
Après, tout s’est enchaîné.
J’ai gravi rapidement les échelons de mon entreprise, pour en devenir le président directeur général. Mon mariage avec la fille du propriétaire d’alors a scellé mon emprise, celui-ci me cédant la majorité des parts. J’ai agrandi cette affaire, jusqu’à en faire ce qu’elle est maintenant, une multinationale. Je siège en conseil toute les semaines, à la tête de la table autour de laquelle mes directeurs s’asseyent, pour définir ce qui fera les orientations de ce royaume moderne.
Mon mariage a été heureux, et j’ai pu racheter le château familial de Geneviève, ma femme, et lui faire plaisir en le lui restituant, alors qu’il avait été perdu par son aïeul.
Il n’a manqué qu’un enfant à notre bonheur, mais cela nous fut refusé, alors que ma demi sœur mettait au monde un fils dont personne ne savait qui était le père.
Elle l’a élevé chez nous, dans notre demeure, et j’ai vu ce garçon grandir en force et en intelligence, vu aussi dans ses yeux qu’il me détestait, et qu’il voulait prendre ma place.
Petit à petit tout s’est dégradé.
Mon entreprise était la cible d’attaques de toutes parts, menaçant de s’écrouler.
Ma femme me trompait, j’en était sûr, avec mon principal associé, et ami de toujours. Elle souffrait de cette situation, je le voyais à son regard, mais l’amour qu’elle éprouvait était de ceux auxquels on ne peut résister. Et puis il y avait mon neveu, qui conspirait pour me détruire, j’étais sûr qu’il avait déjà tenté de me tuer, lors d’une partie de chasse, et il recommencerai, c’était certain.
J’ai compris alors que tout se répétait, et que si je voulais avoir une chance de survivre, il fallait que je rapporte ce que j’avais trouvé ce matin là, dans la forêt, pour briser, peut-être le cours des évènements inscrits de toute éternité.
C’est l’automne, un automne froid et gris. Il a beaucoup plu, et le sol détrempé colle à mes chaussures, mais je sens que j’approche, et le bruit de l’eau qui coule me fait accélérer l’allure. Un fourré plus épais que les autres, et le voilà, le lac de cet été lointain.
La pluie a fait son œuvre, la rivière coule, et une vaste étendue d’eau gris de plomb ondule devant moi.
Des gouttes ont commencé de tomber, fines et pénétrantes, dessinant des ronds minuscules sur la surface liquide, sans faire le moindre bruit. Tout semblait en attente, il était temps.
J’ai défait la couverture, toujours la même, et le métal est apparu, splendide, inaltérable, je l’ai pris à deux mains, il n’était plus question de marcher jusqu’au milieu du lac.
Un craquement a déchiré le silence, et j’ai entre aperçu la silhouette de mon neveu derrière les arbres.
Il va donc falloir me battre..
Je suis presque sûr de mon destin. Ce destin je le tiens dans mes mains, et il porte un nom