Le voyage : les survivants
– Mon Dieu, qui êtes-vous, et d'où appelez-vous ? Je pensais ne plus entendre une autre voix que les nôtres !
Nous avons bondi :
– La terre ? Ici l'équipage de la station Tycho !
J'avais presque hurlé dans le communicateur.
– La station Tycho ? Je me souviens, vous êtes basés sur la lune.
– Etes-vous nombreux, et où êtes-vous exactement ? Ai-je continué sur le même ton.
– Nous sommes une poignée de survivants, et nous nous sommes retranchés dans les galeries d'une mine désaffectée. Le peu de provisions que nous avons est presque épuisé, et sortir pour en trouver, ou essayer de chasser, par moins quarante degrés, sans équipement, est pratiquement impossible. L'air nous empoisonne et il y a de nombreux malades. Venez à notre secours !
– Nous allons descendre ! Restez à l'écoute.
Nous nous sommes regardé, que fallait-il faire ? Descendre, bien sûr, et aider ceux qui étaient là, qui attendaient. Essayer d'évaluer ce qu'il fallait faire nous a donné le vertige. D'autres espèces viendraient, certaines survivraient, mais pour l'homme, c'était terminé, la terre serait inhabitable pendant des décennies.
Une idée a commencé de poindre, évidente, simple dans son énoncé. Mais comment mettre en œuvre ?
Nous avons mis le cap vers la surface, vers l'endroit que notre correspondant nous avait situé.
Traverser l'atmosphère fut une épreuve, sans rien voir qu'une espèce de brouillard sale, cotonneux, tout en luttant pour garder le cap, ballottés que nous étions par des vents de tornade, malgré la masse de la sphère et sa stabilité pourtant très efficace.
Près du sol, c'était pire. Une sorte de crépuscule opaque, glacial, sous une neige, mêlée de poussières, dans un vent qui hurlait sans discontinuer. Nous étions proches d'une petite ville, au centre de ce qui avait été l'Europe de nos ancêtres, et aidés de nos scanners, nous avons repéré la mine, à quelques kilomètres de là. La ville n'était plus que ruines, figée dans le froid, aucun espoir de retrouver d'autres survivants là. Une région doucement vallonnée faisait suite, qui n'avait pas été bouleversée par les séismes. Tamara a posé la sphère, et nous sommes restés un moment sans bouger, à écouter le mugissement du vent sur la coque.
En premier, je me suis secoué :
– Il faut les récupérer, je vais y aller. Quelqu'un pour me suivre ? Des volontaires ?
A peu près tout l'équipage l'était, et il fallait choisir.
Ceux qui allaient résister au froid, au vent, à la nuit désespérante. J'ai choisi, et nous sommes sortis, bien à l'abri de nos scaphandres, ceux que nous mettions sur Tycho.
Dehors c'était ... comment décrire l'apocalypse ? Nous étions si habitués au vide de l'espace, à Tycho, que nous retrouver dans cette atmosphère déchaînée fut une terrible épreuve tant physique que morale. Même notre court séjour sur la planète des strigans s'était passé dans un environnement calme.
Nous avons trouvé l'entrée de la mine, barricadée, mais des hommes attendaient, qui nous ont fait entrer. En nous voyant, ils se sont mis à pleurer, comme des enfants, puis nous ont conduits vers le cœur des galeries, où, tant bien que mal, ils avaient établi un camp de fortune, et où nous avons été accueillis en héros, ce que nous ne méritions évidemment pas. De toute une ville moyenne, il ne restait que cinq cents personnes, hommes, femmes et enfants, parmi les plus solides. Tous souffraient de l'atmosphère viciée, et une centaine était dans un état inquiétant. Ils n'avaient plus de nouvelles du reste du pays, les communications restaient muettes.
Et ensuite ? Tamara, guidée par nos soins, a approché la sphère au plus près, et nous avons organisé l'évacuation, tant bien que mal, par groupes de cinquante. Nous n'avions que quelques scaphandres, il fallait qu'ils sortent à l'air libre, pendant plusieurs minutes, malgré le froid, transportant les malades sur des brancards faits de planches trouvées dans la mine, recouverts de toutes les couvertures possibles.
A cette heure, c'est ma fierté de dire que tous ont survécus de ce premier sauvetage. Nous les avons transportés sur Tycho, un saut de puce pour la sphère, dans le calme de la base. Elle était prévue pour accueillir à terme un millier de personnes, il était facile de les y loger.
Et là, nous avons parlé de notre idée, en sachant qu'il fallait faire vite.
A suivre !
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