Une aventure de Cyril : l'invasion de spams
Cyril se sentait vraiment triste, et pour tout dire il était très malheureux !
Il était puni, c'était normal, il avait fait une grosse bêtise, mais depuis plus d'une heure qu'il balayait, Dame Outlook ne lui avait plus adressé la parole, se contentant de le regarder de temps en temps par dessus ses lunettes, l'air désapprobateur, avant de retourner à son travail. Pire encore, personne n'osait lui parler en venant prendre ou déposer du courrier, voyant que la maîtresse des lieux était mécontente.
La journée avait pourtant bien commencée. Tout le monde avait passé une excellente soirée en assistant à la représentation de l'opéra, et était rentré enchanté. On avait même pu entendre de loin Magnus Discus chanter l'air principal d'un des personnages, un air où il était question d'adieux à sa fille. Très beau et imposant. Il faut dire que Magnus avait une belle voix !
Après une nuit un peu courte, mais reposante, les habitants du château du royaume Pc, étaient repartis à leurs postes et leurs affaires, la tête encore pleine de notes de musique.
Cyril avait décidé de se promener un peu, avant de retourner dans le blog de Cerise, où la prochaine parution était prévue pour le soir seulement. Il déambulait donc tranquillement dans les couloirs du château, en saluant les voisins qu'il croisait, échangeant quelques mots, ou bavardant un moment avec l'un ou l'autre, qui voulait savoir ce que ça lui avait fait d'être sur scène. Il n'avait fait qu'une toute petite figuration, mais en était très content autant que fier, et ses voisins l'enviaient un peu.
Ses pas l'avaient amené à passer devant la porte de Dame Outlook, la grande intendante du courrier de Pc. Un personnage important dans le royaume, juste après messire Documentis, car par elle transitaient tout les écrits de la famille de Cerise. C'était une personne d'assez petite taille, ronde comme une boule dans sa belle robe aux plis moirés qui frôlait le sol, portant une ceinture avec de belles pierres de couleur, où pendaient toutes les clés des boites dont elle avait la charge. Elle avait un visage tout aussi rond, où brillaient des yeux bleus au regard perçant par dessus de petites lunettes perchées au bout de son nez. D'épais cheveux blonds, un peu mêlés de gris encadraient le visage, disciplinés tant bien que mal sous sa coiffe à longs voiles, retenue par un diadème très dépouillé, simple cercle en or.
Sa porte était ouverte, et elle-même prête à sortir, un document à la main, portant seau et ruban. Une missive urgente, très certainement.
Avant que Cyril ait pu la saluer, elle l'avait interpellé avec son autorité coutumière :
- Cyril, sois gentil, je dois porter en personne cette lettre à Magnus Discus, et je n'aime pas laisser mon domaine sans surveillance. Rentre, et reste là le temps que je suis absente. Je ne devrais pas être longue. Si quelqu'un vient, tu lui diras de repasser ou d'attendre ».
Le petit dragon était donc entré, s'était installé derrière un grand comptoir :
- Que dois-je faire, Madame ?
- Surtout rien du tout ! Tu ne touches à rien. Simplement s'il y a des visiteurs, tu leur dis de patienter.
- Bien Madame, avait répondu Cyril, tout heureux de rendre service.
Une fois Dame Outlook partie, il avait regardé autour de lui. C'était la première fois qu'il entrait. C'était une très grande pièce, remplie elle aussi de dossiers, comme chez messire Documentis. Il y avait aussi des dépendances, avec des fichiers, des adresses, des horaires à respecter. Cyril voyait du courrier arriver dans le blog, qu'il devait aussitôt faire suivre à Dame Outlook, mais n'avait encore jamais imaginé à quel point le nombre de lettres et de dossiers était important. Deux personnes étaient entrées, surprises et amusées de le trouver là, puis étaient ressorties, n'ayant pas le temps d'attendre.
Dame Outlook tardait à revenir, et Cyril voyait les lettres et documents joints s'accumuler dans les boites respectives. Elle allait avoir beaucoup à faire ! La boite du père de Cerise était particulièrement pleine, et continuait de se remplir. Cyril en était à ce point de ses réflexions quand une sonnerie retentit, lui vrillant quelque peu les oreilles. Des plis urgents !
Un voyant lumineux lui indiqua qu'il s'agissait bien de la boite du père de Cerise, et les lettres en question étaient clairement visibles. Cyril se dit qu'il pourrait les sortir, et les tenir prêtes pour Dame Outlook, qui serait contente de les voir tout de suite, elle toujours submergée de travail. Bien sur, elle avait dit de ne rien toucher, mais prendre une lettre ou deux ne serait pas grave, et lui ferait gagner du temps.
Cyril s'était approché de la boite, et avait ouvert la porte.
Immédiatement un flot de messages portant la mention « spams » en rouge lui avait sauté au museau. C'était cette mention rouge qui lui avait fait croire qu'il s'agissait de lettres importantes, mais ce n'était sûrement pas cela. Il tenta de refermer la porte, sans y arriver, tant le nombre de messages était important. Il essaya de les retenir à l'intérieur d'une patte, pendant que de l'autre il essayait encore de refermer, sans plus de succès, et sur le sol, les spams s'entassaient, envahissant tout, dégoulinant jusqu'à l'entrée, et commençant de se répandre dans le couloir. La boite, grande ouverte, laissait échapper une masse torrentielle de messages, dans laquelle les pattes de Cyril s'enfonçaient. Il essayait de les ramasser pour les mettre dans un coin, mais à peine l'avait-il fait, que le tas s'était reformé, coulant et roulant toujours plus loin. Il venait d'avoir fait une pile de plus, tentant une fois encore de refermer la boite, quand un rugissement de colère retentit derrière lui.
Dame Outlook entra comme une flèche, relevant le bas de sa robe pour ne pas l'abîmer dans le tas de spams, courut jusqu'à un tableau dans le mur, où elle inséra une de ses clés. Immédiatement la boite se referma, bloquant l'avance des messages. Cyril, pitoyable, les pattes arrières disparaissant dans la masse des lettres, baissa la tête devant le regard furieux de Dame Outlook, qui se mit immédiatement à crier très fort, si fort que les curieux s'arrêtèrent devant la porte d'entrée pour voir ce qui se passait.
- Regarde ce que tu as fait ! Je t'avais bien dit de ne toucher à rien ! Tu m'as désobéi et je suis furieuse !
et elle continua ainsi pendant plusieurs minutes, pour finir par déclarer :
Tu es puni ! Tu vas prendre ce balai, et me balayer tout ça dans le coin. Et je ne veux pas t'entendre dire un mot. Allez ouste ! au travail !
Tout cela remontait à déjà à plus d'une heure, et le tas de messages était presque entièrement repoussé contre un mur, laissant revoir le sol en carreaux de marbre. Pourtant Dame Outlook ne lui parlait toujours pas, et Cyril, de plus en plus triste se taisait. Il avait tellement honte !
Une grosse larme perla au bout de ses cils ( vous ne le savez peut-être pas, les dragons ont de très longs cils) roula le long de son museau, jusqu'à son nez, pour finir par s'écraser sur le tas de missives, délavant l'encre, la diluant sur les enveloppes. Une deuxième, puis une troisième suivirent. La voix de Outlook dans son dos le fit sursauter :
- Qu'est-ce que je vois ? Tu ne vas pas me dire qu'un grand garçon comme toi pleure parce que je l'ai puni ?
Cyril, le cœur gros, et la gorge nouée, n'arriva pas à former les mots pour une réponse.
- Si tous ceux après lesquels je crie se mettaient à pleurer, nous serions en train de vivre dans une piscine !
Elle considéra le tas bien balayé :
- Tu as tout ramassé. Pousse-les vers la boite des indésirables, que le régisseur de la corbeille ait un peu de travail lui aussi. C'est un flemmard, ça lui fera du bien .
Cyril un peu ragaillardi, s'exécuta, et les messages disparurent comme par enchantement.
- Tu es un bon petit, dit Dame Outlook,
mais tu ne dois pas ouvrir une boite postale n'importe comment, il faut faire attention, car les spams sont un fléau. Ils peuvent même transporter des virus ! Alors écoute ce qu'on te dit, et tout ira bien .
Elle se dressa sur la pointe de ses petits pieds, et déposa un gros bisous un peu humide sur le nez de Cyril, qui faillit se remettre à pleurer.
- Tiens, prends ce pli, et vas le porter à messire Documentis, dit Dame Outlook, en lui tendant un parchemin enrubanné de rouge, et laisse-moi travailler maintenant .
Cyril murmura un petit : « oui Madame » et sortit, encore très ému, mais heureux de la confiance revenue, il vola allègrement vers les appartements de Documentis.
- Ca alors ! fit tout haut le père de Cerise, dans le monde réel.
- Qu'y a t-il ? interrogea la maman.
- Je n'avais encore jamais vu une pareille quantité de spams à la fois ! Heureusement que le système de blocage a bien fonctionné