Une seconde chance
Cette semaine, Anni qui est à la barre de la coquille nous propose de faire un récit de vacances, vrai ou imaginaire, et d'y introduire les sept couleurs de l'arc en ciel .
Alors, et pour la communauté des "croqueurs de mots "
Une seconde chance
Voilà bien longtemps que j’avais lu ce livre, un recueil de contes de Kipling.
J’étais adolescente alors, en vacances d’été au bord de la mer, entourée d’amies, de mes cousins. Nous passions nos journées à nous amuser dans l’eau qui miroitait sous un beau soleil, à nous éclabousser et à rire. A nous promener dans la petite ville, ou la campagne environnante, à vélo, en faisant la course.
Un été lumineux, comme on en connaît un dans une vie, et où tout paraît permis, tout paraît promis, et où tout arrivera, surtout les projets les plus fous.
Et puis il y avait le livre.
Je l’ai lu durant tout cet été là. Il n’était pas très épais, mais j’avais peu de temps pour lire. Il y avait tant à faire ! Quelques pages le soir, avant de dormir en rêvant du pays lointain, plein de coutumes étranges, de parfums et d’animaux exotiques.
A la fin de l’été j’ai terminé le livre, avec un petit pincement au cœur, tout en me promettant de le relire encore et encore. Pourtant ce ne serait plus pareil, je le savais.
J’ai fêté mon anniversaire au même moment, entourée de ma famille, des cousins et des amies, une grande fête pour moi, malgré sa simplicité.
Nous sommes rentrés peu après, et la vie « normale » à repris son cours, un cours qu’elle a suivi depuis sans s’en écarter, laissant les rêves loin derrière, au creux de cet été là.
C’est bientôt mon anniversaire, et je ne ferai rien de particulier ce jour là. Avec qui d’ailleurs ? Si ce n’est l’impression d’être passée de l’enfance à la presque vieillesse sans qu’il n’y ait rien entre les deux. Rien qui vaille la peine d’être raconté, ou revécu. Oh, je vois bien maintenant les endroits où je me suis trompée de direction, mais il est trop tard pour changer quoi que ce soit.
Et j’ai retrouvé le livre, dans une petite librairie. Je dois dire que cela m’a fait vraiment plaisir, car à l’époque, en revenant dans la grande ville, pas moyen de remettre la main dessus, malgré mes recherches. Et puis je n’y avais plus vraiment pensé. Celui-ci est une édition bien plus belle, avec une couverture façon cuir, alors que celui de mon enfance avait une couverture bigarrée, un dessin évoquant une Inde de pacotille, représentée dans toutes les couleurs de l'arc en ciel, bleu, vert, jaune, rouge et orange, mais si jolie
Je me suis installée pour le lire, pendant l’après-midi, dans mon fauteuil, avec un plaisir que je n’avais plus ressenti depuis longtemps.
Il y a un beau soleil au dehors, des enfants qui s’amusent et qui rient, un peu comme pendant l’été des vacances. Les nouvelles n’ont rien perdu de leur charme, ni de leur exotisme, et je les lis avec l’enthousiasme qu’elles m’avaient procuré. Tout le livre en deux heures, ou trois, puis je me suis assoupie.
Il fait beau dehors, l’air apporte l’odeur de la mer, de l’iode, par la fenêtre ouverte, et j’entends, de loin, le bruit du ressac. Je suis rentrée un moment pour me mettre à l’ombre, et je me suis allongée avec mon livre de contes, mais je ne vais pas tarder à retourner au bord de l’eau, avec les autres filles. Les autres filles ?
Je me relève d’un bond, en regardant la mer par la fenêtre. La mer ?
Le livre est là, posé sur mon lit, avec sa couverture au dessin naïf.
Pourquoi, comment tout cela ? Peut-être arrive t-il que certains d’entre nous aient une deuxième chance après tout, et cette fois il ne faudra rien gâcher, ne rien laisser perdre.
Il faut que je m’en souvienne, absolument. Que je garde cette pensée dans un coin de ma mémoire, à n’importe quel prix, car je sens que tout s’efface peu à peu.
Seconde chance, ne rien rater.
Les filles m’appellent, je vais aller m’amuser, c’est de mon âge.
Seconde chance ?
Illustration, tableau du douanier Rousseau.
et pour lire mon autre nouvelle 'les vacances de l'arc en ciel " c'est par ici clic