Le journal de bord

Publié le par hauteclaire

Cette fois-ci, Lajemy, pour sa communauté "le casse tête de la semaine" , nous propose "mythes et légendes"
Voici ma proposition

En relisant ces lignes, je ne suis plus sûre… Ai-je rêvé, était-ce la réalité, et si oui, quelle réalité ?
Nous étions toute une bande de copains à bord du “Pandora ”, un magnifique yacht de vingt mètres de long, grand luxe, avec tout le confort que suppose un pareil bâtiment, et même une mini piscine sur le pont supérieur. Nous avions tous contribué à la location, seule possibilité pour nous de monter sur une pareille merveille. Nous gagnons bien nos vies, mais à ce point, il fallait bien la quinzaine de bourses qui avaient participé.
Nous l’avions par contre pris sans équipage, pour réduire un peu les frais, de toute façon, nous sommes tous de bons marins depuis l’enfance. Ce devait être un voyage des plus simples, nous éloigner un peu en pleine mer, en dehors des routes les plus fréquentées, jeter l’ancre et nous laisser vivre la semaine de location si chèrement acquise.
Nous avons jeté notre dévolu sur ce coin de mer au large des côtes de Floride, personne en vue, et une météo, soigneusement surveillée, qui n’annonçait que du beau temps. Quatre jours étaient déjà passés, entre rires, plongées sous-marines, discussions passionnées, et farniente. Des vacances idéales, que nous n’oublierions pas de sitôt.
Il y avait plusieurs couples, des célibataires, hommes et femmes, je partageais ma cabine avec Ruth, une amie de toujours, comme d’ailleurs le reste de notre petite bande.
Tout était parfait donc, mais ce soir là, l’atmosphère avait un peu changé. Il avait fait une chaleur éprouvante, lourde et moite, comme en connaît cette région durant l’été, et l’humeur générale s’en était ressentie, malgré la climatisation mise en route dans les cabines, le fin du fin du luxe. Personnellement, j’avais aussi passé beaucoup de temps dans l’eau, mais avec le soleil, j’étais un peu sonnée.
Le dîner avait traîné en longueur, les rires étaient un peu crispés, et les cocktails de fruits alcoolisés avaient sans doute été servis trop abondamment. Une dispute avait même failli éclater. Du coup, en une sorte d’accord tacite, tout le monde a décidé d’aller se coucher tôt, et le pont s’est retrouvé déserté en quelques minutes, après des bonsoirs calmés par le sommeil et la fatigue.
Depuis le début, l’un d’entre nous restait de quart pour la nuit, ou deux, suivant les bonnes volontés. Cette nuit là, j’avais peu bu, et avec une certaine fraîcheur retrouvée, j’avais envie de rester sur le pont, et je me suis proposée. Les garçons m’ont dit de réveiller l’un d’entre eux au bout de cinq heures, puis tout le monde a regagné ses pénates, et le silence est tombé, troublé seulement par les échos de légers ronflements, ou le clapotis provoqué par un poisson sautant brièvement hors de l’eau.
La mer était d’huile, sous une pleine lune parfaite, blanche comme de l’albâtre, miroitant sur l’eau noire. Je me suis assise sur une pile de coussins, adossée à la paroi de la cabine de pilotage, et pendant deux heures j’ai savouré un silence comme il ne peut y en avoir qu’en pleine mer, dans une atmosphère douce, sentant l’iode et le sel.
Me suis-je endormie ? Je ne crois pas, peut-être une sorte d’hypnose induite par cette immobilité du monde qui nous entourait à ce moment ?
J’ai sursauté tout à coup, à nouveau pleinement consciente, un nuage passait devant la lune, troublant la clarté si pure. Il n’y avait plus un souffle d’air, avec à nouveau cette touffeur qui nous avait tant fatigués, en pire. L’air collait littéralement à la peau, aux vêtements, aux poumons. La mer était comme de l’encre, noire et mate, sans plus le moindre scintillement, comme un gouffre béant prêt à nous avaler.
J’ai levé la tête vers la lune, un instant obscurcie par un nuage, et j’ai réprimé un sursaut horrifié en découvrant le ciel. Un anneau compact entourait notre planète jumelle, s’amoncelant en masse épaisse, et dissimulant les étoiles. Il ne restait plus que cette lune blafarde, dans une trouée circulaire de nuages opaques. J’ai jeté un coup d’œil au petit baromètre posé à côté de moi, et ressentis un violent pincement au cœur en le voyant indiquer une dépression de fin du monde. Nous allions avoir un ouragan, c’était imminent, pourtant rien ne se passait, pas le moindre frémissement de vent et je suffoquais.
J’ai levé les yeux du baromètre, et il était là, tout près. Jusqu’à ces dernières minutes, la nuit était parfaitement limpide, j’aurais dû le voir depuis la ligne d’horizon, un voilier splendide, deux mats, plus grand que le  “Pandora” , un navire des plus moderne, avec un je ne sais quoi d’ancien. Tous ces détails se sont imprimés dans mon cerveau, submergés par une seule idée, il allait nous éperonner !
Il avançait droit sur nous, l’écume retombant de chaque côté de l’étrave qui fendait l’eau comme un couteau. Les voiles étaient gonflées sous un vent qu’il était le seul à connaître, il avançait inexorablement. J’ai ouvert la bouche pour appeler, aucun son n’en est sorti, et je suis restée là, assise, incapable de bouger.
Il est passé à quelques encablures, sans bruit, sans soulever de vagues, alors que la proue plongeait dans des creux invisibles. La voilure était manœuvrée rapidement, par des mains expertes, et en quelques instants il a disparu au loin.
Une petite brise s’est levée, bienfaisante, les nuages se sont dissipés rapidement, et la nuit a retrouvé tout son éclat et son calme. A bord, personne n’avait bougé, continuant de dormir paisiblement. J’ai dû mettre une heure avant d’arrêter de claquer des dents, et les premiers réveillés m’ont sûrement trouvée bien bizarre. Je me suis ruée sur ma couchette, et enfouie sous les couvertures, j’ai dormi pendant longtemps, malgré l’agitation joyeuse qui régnait.

Les amis m’ont demandé si j’étais malade, si j’avais un problème, mais je n’ai rien dit, comment leur expliquer ? Ça me paraissait un rêve, et je voulais que ça le soit. Comment leur dire que sur ce navire manœuvré de main de maître, il n’y avait personne, pas le moindre équipage visible ? Seul un homme était à la barre.
Je l’ai vu distinctement, et lui aussi m’a vu, d’un regard profond, douloureux et triste.
J’ai sûrement rêvé, mais quelque part, une certitude est là. Un jour, tôt ou tard, le voilier accostera pour moi.



Publié dans les contes

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<br /> oui tôt ou tard :-) tres belle histoire !<br /> <br /> <br />
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H
<br /> Merci Nessa,<br /> d'avoir lu et aimé<br /> Bisous<br /> <br /> <br />
<br /> oui tôt ou tard :-) tres belle histoire !<br /> <br /> <br />
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P
<br /> Coucou Hauteclaire,<br /> bien sûr que j'ai aimé ce conte !<br /> <br /> Reste que je ne suis pas à l'aise sur l'eau... Et que les bateaux fantômes, ça me fait un peu peur...<br /> <br /> <br />
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H
<br /> Coucou Pan,<br /> vous me rassurez, je me disais que j'étais passée "à côté" de ce conte.<br /> Je crois que je ne serais pas non plus très à l'aise avec une telle rencontre ...<br /> <br /> <br />
M
<br /> bonjour, belle histoire que la tienne et tu as du avoir effectivement une drôle de sensation,merci de la partager, bonne journée<br /> <br /> <br />
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H
<br /> Merci Mamie <br /> mais heureusement, ou malheureusement, je ne sais pas, c'est tout à fait fictif..<br /> J'aime bien revisiter les contes et légendes<br /> Bisous à toi<br /> <br /> <br />
P
<br /> Le Hollandais volant !<br /> Hiiiiiiiiiiiii !!!<br /> <br /> Tous aux abris !<br /> <br /> <br />
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H
<br /> Coucou Pan,<br /> ben ...<br /> vous ne l'avez pas trop aimé ce conte, on dirait <br /> Amitiés<br /> <br /> <br />